Benjamin Gallais
Ph. D. et chercheur à ÉCOBES – Recherche et transfert
Cégep de Jonquière
Numéro 4 – 2023
Pour citer cet article
Benjamin Gallais
Ph. D. et chercheur à ÉCOBES – Recherche et transfert
Cégep de Jonquière
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Santé mentale des étudiants collégiaux et universitaires
Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à évaluer l’utilisation, la satisfaction et l’efficacité perçue des utilisateurs et utilisatrices d’une application numérique, contenant un robot conversationnel et une boîte à outils, destinée au soutien de la santé mentale et au soutien scolaire des personnes étudiantes au collégial.
Pour plus de détails, consulter : Gallais, B. et Desjardins, F. (2022). Analyse logique du déploiement d’un agent conversationnel destiné au soutien scolaire : tome 1. Satisfaction et efficacité perçue d’un agent conversationnel destiné au soutien de la santé mentale et au soutien scolaire chez les étudiantes et étudiants collégiaux. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.
Faute de moyens suffisants, l’accès aux services en santé mentale dans les établissements collégiaux est souvent limité par rapport à la demande. Cette situation est présente alors que les personnes étudiantes sont confrontées à de nombreux défis, soit le contexte d’études et une période du développement où les besoins sont importants : la transition entre l’adolescence et l’âge adulte (Gallais, Bikie Bi Nguema et Turcotte, 2021). Les demandes d’aide aux services psychosociaux ont augmenté considérablement dans les dernières décennies (Center for Collegiate Mental Health, 2020). La pandémie de COVID-19, ayant significativement détérioré la santé mentale des populations étudiantes collégiales, a accru cette problématique (Gallais, Blackburn, Paré, Maltais et Brassard, 2022).
Ainsi, certaines personnes expertes croient que l’intégration de la technologie en santé mentale peut répondre aux besoins de la population. Par exemple, les applications et les agents conversationnels présentent plusieurs caractéristiques intéressantes : ils sont accessibles en tout temps (Kretzschmar, Tyroll, Pavarini, Manzini, Singh et NeurOx Young People’s Advisory Group, 2019), faciles d’accès et conservent l’anonymat de la personne utilisatrice (Abd-Alrazaq, Alajlani, Ali, Denecke, Bewick et Househ, 2021), séduisent les jeunes et permettraient de surmonter la barrière de la stigmatisation (Fitzpatrick, Darcy et Vierhile, 2017). S’il existe une multitude d’applications similaires, il s’avère essentiel que chaque application dédiée à la santé mentale soit évaluée afin de connaître son efficacité auprès de la clientèle cible (Gamble, 2020; Palmer et Burrows, 2021).
Les chatbots, aussi appelés agents / robots conversationnels, peuvent proposer une conversation programmée par des questions et des choix de réponses ou générer un dialogue en ayant recours à l’intelligence artificielle (Vaidyam, Wisniewski, Halamka, Kashavan et Torous, 2019). L’agent conversationnel étudié dans notre recherche est programmé dans un but de promotion du bien-être et de la santé mentale ainsi que la prévention des troubles psychosociaux par une prise de conscience rapide des difficultés de la personne étudiante (Optania, s. d.). Celui-ci inclut également la facilitation de l’orientation vers du personnel professionnel, permettant ainsi une intervention précoce.
Une enquête en ligne auprès de cégépiens et cégépiennes
Nous avons mené une étude descriptive par enquête auprès des étudiantes et étudiants de deux cégeps qui ont rendu disponible l’application Ali1. Cette application contient un agent conversationnel sous forme d’avatar (Ali) et une boîte à outils où l’on retrouve des informations et des outils utiles.
L’enquête comprenait l’évaluation des six dimensions suivantes : les caractéristiques sociodémographiques, le téléchargement et l’appréciation générale de l’application, les thèmes abordés avec le chatbot et son appréciation, la boîte à outils et son appréciation, les effets perçus de l’utilisation de l’application et, finalement, l’analyse de la demande d’aide humaine.
L’application est relativement méconnue par les personnes étudiantes.
Parmi les 648 personnes participantes, seulement un quart (26 %) avaient téléchargé l’application. La raison de ne pas l’avoir téléchargée évoquée le plus souvent est la méconnaissance de l’application (74 %). Inversement, les personnes qui ont téléchargé l’application en ont principalement entendu parler par la publicité faite dans les cégeps (42 %).
L’application est relativement bien appréciée par les utilisateurs et utilisatrices.
L’analyse des données a permis de constater que l’application est, en général, assez appréciée. Par exemple, presque toutes les personnes répondantes pensent que l’application est facile à utiliser (98 %), flexible (92 %) et utile (86 %).
Les thèmes les plus fréquemment abordés avec l’agent conversationnel sont le stress (et l’anxiété) par 68 % des participantes et participants, le sommeil (37 %) et la solitude (25 %) (thèmes surlignés en vert dans le graphique 1). Ces thèmes ont été jugés utiles par 84 % à 86 % des personnes participantes. Dans une moindre mesure (21 %), on retrouve des thèmes liés au soutien scolaire (« apprentissage efficace » et « études à distance ») (thèmes surlignés en gris dans le graphique 1).
Voici, plus en détail, l’ensemble des 18 thèmes abordés par les personnes participantes à l’enquête.
Concernant la boîte à outils de l’application, les utilisateurs et utilisatrices apprécient son utilité (90 %) et trouvent que les informations qui s’y retrouvent sont satisfaisantes (87 %) et pertinentes (91 %).
La satisfaction est au rendez-vous concernant le soutien scolaire.
Les personnes participantes sont globalement en accord avec le sentiment d’éprouver plus de plaisir et de satisfaction (74 %) et d’être plus motivées (75 %) à apprendre de nouvelles connaissances dans les cours depuis leur utilisation de l’application.
L’efficacité perçue de l’outil sur la santé mentale est plus modérée.
Au sujet des éléments questionnant le sentiment d’être moins stressée et nerveuse ou, au contraire, plus zen et relax, depuis l’utilisation de l’application, ce sont plus d’une personne répondante sur trois qui sont en désaccord bien qu’une majorité ait répondu être en accord.
À travers les réponses des participantes et participants, l’outil semble apprécié et serait utile pour la communauté collégiale. L’efficacité relative au soutien scolaire semble cependant supérieure à celle sur la santé mentale.
Les robots ne remplacent pas les intervenantes et intervenants humains.
L’apparition massive d’applications et de robots peut faire émerger un certain nombre de préjugés. Or, à l’heure actuelle et spécifiquement dans l’application évaluée ici, le robot conversationnel n’a pas pour fonction de se substituer aux humains des services d’aide. Il jouerait plutôt un rôle métacognitif, c’est-à-dire qu’il aiderait les individus à prendre conscience de leurs difficultés.
L’application est une source et un lieu d’informations fiables sur la santé mentale et la réussite éducative.
À l’heure de la surinformation sur Internet et les réseaux sociaux, une application destinée aux étudiantes et étudiants qui regroupe l’information pertinente au regard de la santé mentale et de la réussite éducative en un seul endroit (la boîte à outils) a certainement une place dans le paysage actuel.
Les outils numériques peuvent être vus comme de futurs alliés du personnel des établissements collégiaux.
Les intervenantes et les intervenants tout comme le personnel professionnel des cégeps et collèges pourraient s’appuyer sur ce genre d’application comme outil de promotion et de prévention en matière de réussite scolaire et en faire un complément stratégique à leurs propres tâches et missions. Orienter les personnes étudiantes vers ce genre d’outils pourrait permettre de désamorcer certaines situations et suffire à des personnes qui ont surtout besoin d’être rassurées et informées (Gallais, Bikie Bi Nguema et Turcotte, 2021). Cependant, les services d’aide doivent être et rester à la disposition de la population étudiante lorsque celle-ci ressent le besoin d’un accompagnement supplémentaire.
Abd-Alrazaq, A. A., Rababeh, A., Alajlani, M., Bewick B. M. et Househ, M. (2020). Effectiveness and Safety of Using Chatbots to Improve Mental Health: Systematic Review and Meta-Analysis. Journal of Medical Internet Research, 22(7).
Desjardins, F. et Gallais, B. (2022). Analyse logique du déploiement d’un agent conversationnel destiné au soutien scolaire : tome 2. Éléments favorables à l’intégration d’un agent conversationnel au sein des établissements collégiaux. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.
Nadarzynski, T., Miles, O., Cowie, A. et Ridge, D. (2019). Acceptability of artificial intelligence (AI)-led chatbot services in healthcare: A mixed-methods study. DIGITAL HEALTH, 5, 1-12.
Abd-Alrazaq, A. A., Alajlani, M., Ali, N., Denecke, K., Bewick, B. M. et Househ, M. (2021). Perceptions and Opinions of Patients About Mental Health Chatbots: Scoping Review. Journal of Medical Internet Research, 23(1).
Center for Collegiate Mental Health. (2020). 2019 Annual report (publication no STA 20‑244).
Fitzpatrick, K. K., Darcy, A. et Vierhile, M. (2017). Delivering Cognitive Behavior Therapy to Young Adults with Symptoms of Depression and Anxiety Using a Fully Automated Conversational Agent (Woebot): A Randomized Controlled Trial. JMIR Mental Health, 4(2).
Gallais, B., Bikie Bi Nguema, N. et Turcotte, A. (2021). Portrait de l’intervention psychosociale dans le réseau collégial québécois : point de vue des intervenants sur leur pratique, leurs collaborations et sur les programmes d’accompagnement psychologique existants. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.
Gallais, B., Blackburn, M.-È., Paré, J., Maltais, A. et Brassard, H. (2022). Adaptation psychologique et adaptation aux études à distance des étudiants collégiaux face à la crise de la COVID‑19. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.
Gamble, A. (2020). Artificial Intelligence and Mobile Apps for Mental Healthcare: A social Informatics Perspective. Aslib Journal of Information Management, 72(4), 509-523.
Kretzschmar, K., Tyroll, H., Pavarini, G., Manzini, A., Singh, I. et NeurOx Young People’s Advisory Group. (2019). Can Your Phone Be Your Therapist? Young People’s Ethical Perspectives on the Use of Fully Automated Conversational Agents (Chatbots) in Mental Health Support. Biomedical Informatics Insights, 11.
Optania (s. d.). Ali, une mesure de soutien supplémentaire.
Palmer, K. M. et Burrows, V. (2021). Ethical and Safety Concerns Regarding the Use of Mental Health–Related Apps in Counseling: Considerations for Counselors. Journal of Technology in Behavioral Science, 6(1), 137-150. Vaidyam, A. N., Wisniewski, H., Halamka, J. D., Kashavan, M. S. et Torous, J. B. (2019). Chatbots and Conversational Agents in Mental Health: A Review of the Psychiatric Landscape. The Canadian Journal of Psychiatry, 64(7), 456-464.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay
Révision linguistique : Sandrine Bourget-Lapointe
Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.
À propos de l'auteur
Benjamin Gallais
Ph. D. et chercheur à ÉCOBES – Recherche et transfert
Cégep de Jonquière
Benjamin Gallais, psychologue clinicien en France et détenteur d’un doctorat (Ph. D.) en psychologie, a rejoint ÉCOBES, le Centre d’Étude des COnditions de vie et des BESoins de la population, au Cégep de Jonquière en 2018. Il étudie la santé mentale de la population étudiante collégiale et ses impacts sur la réussite et la persévérance scolaire, de même que l’efficacité de pratiques innovantes qui soutiennent la promotion, la prévention ou l’intervention en santé mentale. Il est codirecteur de l’Observatoire sur la santé mentale étudiante en enseignement supérieur (OSMÉES). Il est également membre régulier du Centre de recherche Charles-Lemoyne et chargé de cours à l’Université du Québec à Chicoutimi.
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