Au cours des dernières années, la plupart des établissements d’enseignement supérieur ont mis en place des stratégies institutionnelles visant l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) comprenant des politiques, des plans d’action, des engagements, etc. (Campbell, 2021; Tamtik et Guenter, 2019).

À l’heure actuelle, les responsables des établissements prennent conscience des ressources humaines et financières requises pour réaliser ce travail de manière structurante et durable (Campbell, 2021).

L’insuffisance de fonds destinés notamment au soutien des initiatives EDI constitue un obstacle majeur au déploiement des plans d’action dans les établissements (Universités Canada, 2019). De plus, de nombreux bureaux dédiés à l’avancement de l’EDI dans les collèges et les universités sont menés par une seule personne, alors que les établissements ayant constitué une véritable équipe sont plus susceptibles de faire des recommandations précises et proactives aux directions (Tamtik et Guenter, 2019).

Au cœur de la mission de l’enseignement supérieur

En tant que lieux dédiés aux savoirs et à la transformation sociale (Amboulé Abath, 2022), les établissements d’enseignement supérieur ont la « responsabilité institutionnelle » (McNair et al., 2020) d’appliquer les principes d’EDI.

Les collèges et les universités sont des institutions fondées sur des principes qui sous-tendent l’EDI, notamment celui selon lequel les connaissances progressent grâce aux débats d’idées entre diverses voix (Campbell, 2021). Les établissements d’enseignement supérieur possèdent également la responsabilité d’interroger les savoirs existants (Scott, 2020).

Dès 1998, dans sa Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESC0) rend explicite son engagement dans la mise en œuvre de la mission et de la fonction de l’enseignement supérieur en matière d’accès à l’équité :

« L’accès à l’enseignement supérieur de membres de certains groupes cibles spéciaux, comme les populations autochtones, les minorités culturelles et linguistiques, les groupes défavorisés, les peuples subissant une occupation et les personnes souffrant de handicaps, doit être activement facilité […]. Une aide matérielle particulière et des solutions éducatives peuvent contribuer à surmonter les obstacles auxquels se heurtent ces groupes pour accéder à l’enseignement supérieur et poursuivre leurs études » (UNESCO, 1998, dans Doutreloux et Auclair, 2021b).

Au Québec, les établissements d’enseignement supérieur doivent assumer leur responsabilité en ce qui concerne l’EDI, en cohérence avec les valeurs des ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur en matière d’inclusion, d’ouverture à la diversité des personnes et des besoins, d’universalité, d’accessibilité, d’équité et d’égalité des chances (Fonds de recherche du Québec, 2021).

Le ministère de l’Enseignement supérieur a pour mission d’« offrir au plus grand nombre d’étudiantes et d’étudiants des parcours de formation accessibles, flexibles, adaptés à leurs besoins qui leur permettront d’acquérir les connaissances et les compétences utiles à leur réussite personnelle et professionnelle, et de participer activement au développement économique, social et culturel du Québec. »

Ministère de l’Enseignement supérieur (2022)

Pour y arriver, ce mandat doit être perçu comme une responsabilité partagée : chaque membre de la communauté collégiale ou universitaire, à commencer par les différentes directions des établissements, a un rôle à jouer. Cette vision institutionnelle et structurante permet d’engager la responsabilité de tous et de toutes — gestionnaires, corps enseignant et professoral, personnel professionnel et technique, population étudiante, milieux de stage — vers des buts communs dont l’issue principale est la réussite étudiante.

Les établissements d’enseignement supérieur doivent s’assurer que dans le cadre de ses études, chaque individu reçoit des ressources et des moyens mettant en place les conditions de réussite dans le respect de ses droits, ses identités, ses expériences et ses besoins (Amboulé Abath, 2022).

L’ensemble du personnel et de la population étudiante doit donc prendre part aux changements de culture liés aux politiques EDI. Toutefois, même les leaders avec les meilleures visions risquent d’échouer sans le soutien des différents membres de la communauté, en particulier des personnes issues des groupes marginalisés (Barnett, 2020).

Que doit comprendre une politique institutionnelle EDI ? Voici des axes d’intervention et des secteurs d’activités qui devraient en faire partie (Doutreloux et Auclair, 2021b). L’énumération permet d’illustrer le caractère transversal des enjeux EDI au sein des établissements et le nécessaire partage de responsabilités entre ses différentes composantes.

Environnement physique : des installations accessibles, la sécurité des lieux, etc.

Communications : des affichages représentatifs de la diversité, une écriture inclusive, les normes du web inclusif, etc.

Recherche : des équipes de recherche diversifiées, des méthodologies qui incluent une diversité de points de vue, des retombées utiles et accessibles pour les groupes minoritaires, etc.

Services étudiants : des activités diversifiées, des services psychosociaux tenant compte de la diversité des identités, la collaboration entre les services, le respect de l’obligation d’accommodements, etc.

Services au personnel : un programme de mentorat, un programme d’insertion professionnelle, le respect de l’obligation d’accommodements, etc.

Pédagogie : des modalités d’enseignement et d’évaluation tenant compte de la diversité des profils et de la variété des besoins, etc.

Gouvernance : la présence des groupes minoritaires ou historiquement discriminés dans les postes supérieurs, incluant le conseil d’administration, etc.

Dotation : l’application du programme d’accès à l’égalité en emploi, les processus d’embauche exempts de biais et adaptés aux besoins des personnes candidates, des grilles d’évaluation et des tests d’aptitudes équitables, des affichages permettant de rejoindre les groupes visés, etc.

Admission : des services accessibles à distance, un accompagnement tout au long du processus d’admission, des informations accessibles, des tests de classement justes, etc. (Doutreloux et Auclair, 2021b).

L’importance d’un leadership inclusif : la participation nécessaire des personnes concernées

Titre de l’image : Leadership inclusif
Image d'un casse-tête coloré à six morceaux. Un des morceaux est en train de venir s’attacher au reste des morceaux.
Laisse penser que les morceaux de casse-tête sont des personnes autour d’une table.

Afin d’endosser pleinement leur responsabilité institutionnelle, les directions d’établissement doivent assumer un leadership capable de mobiliser leur communauté collégiale ou universitaire (Magnan et al., 2018).

Un leadership inclusif implique de coconstruire des stratégies institutionnelles EDI avec certains groupes qui composent la population étudiante. Le dialogue n’est pas qu’une partie du processus; il s’agit d’un élément crucial du leadership inclusif (Roper, 2019). Lorsque les leaders ignorent l’importance de la collaboration et de la coconstruction dans la mise en place de l’EDI, de nombreuses personnes se considèrent comme étant invisibilisées (McCauley et Palus, 2020).

Adopter une approche fondée sur le dialogue permet de mieux comprendre la nature des problèmes et des inégalités vécues, mais aussi des enjeux de reconnaissance particuliers. Des membres des Premiers Peuples, par exemple, expriment qu’il peut être inconfortable d’être inclus comme un groupe marginalisé parmi les autres, sans distinction quant à leur statut légal et à l’historique de colonisation (Table de travail sur les réalités autochtones de l’Université du Québec, 2022).

Le leadership inclusif peut également avoir une portée transformatrice qui dépasse l’organisation en suggérant des changements sociaux visant la justice sociale et des transformations structurelles en profondeur (Doutreloux et Auclair, 2021a). Ce type de leadership reconnait la nécessité, pour une organisation, de redéfinir fondamentalement son identité, sa vision et ses stratégies pour coconstruire de nouvelles structures et de nouveaux processus plus inclusifs (Hansen et al., 2021).

Un leadership inclusif possède également une capacité d’autocritique et d’introspection : les structures actuelles de gouvernance contribuent-elles à maintenir des inégalités en enseignement supérieur (Hansen et al., 2021) ? Les actions entreprises masquent-elles des structures qui perpétuent les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur (Scott, 2020) ? Les initiatives EDI privilégiées se fondent-elles sur des « solutions toutes faites » observées dans d’autres grandes organisations, sans égard au contexte institutionnel particulier (ibid.) ?

À cet égard, le modèle de la « lunette d’équité » (Suarez et al., 2018) permet de poser des questions pertinentes tout au long des processus de prise de décision :

Questions pour adopter une lunette d’équité

Ces questionnements introspectifs peuvent guider la co-construction des stratégies institutionnelles EDI avec des membres des communautés collégiale et universitaire faisant partie de groupes marginalisés.

Titre de l’image : Questions pour adopter une lunette d'équité.
Au centre, on voit une ampoule et autour, différentes catégories de questions.
Catégorie Quoi (1 question): qu'est-ce que je veux mettre en place?
Catégorie Pourquoi (2 questions) :
- Les données mettent-elles en évidence des écarts entre certains sous-groupes ? 
- Pourquoi ces écarts existent-ils ? 
Catégorie Comment (4 questions) :
-Comment puis-je m’assurer que le changement répond équitablement aux enjeux et besoins identifiés ? 
-Comment puis-je minimiser mes angles morts dans le processus de décision ? 
-Comment puis-je contribuer à diminuer les écarts existants ? 
- Est-ce que je m'assure d'impliquer une diversité de personnes en amont et en aval?  
Catégorie Combien (1 question) :
- Est-ce que les ressources à notre disposition sont investies de façon équitable ? 
Catégorie Qui (3 questions) :`
- Qui pourra être directement ou indirectement touché par ce que je veux mettre en place ?  
-Sur qui le changement envisagé aura-t-il un impact positif ? 
-Y a-t-il des groupes pour qui le changement envisagé pourrait avoir des impacts négatifs ? 
Catégorie Données (1 question):
- Ai-je des données ventilées par sous-groupes pour faire les constats de base, comprendre les enjeux ou identifier les besoins et les impacts différenciés ? 
Les questions sont inspirées de Suarez et al. (2018) et des questions de l’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS Plus) (Gouvernement du Canada, s. d.).

Pistes d’action pour une responsabilité partagée

Les pistes d’action identifiées ci-dessous s’inscrivent dans une vision structurante visant à passer des obligations de reddition de comptes (exigées notamment par les fonds de recherche fédéraux) à une responsabilisation des milieux d’enseignement supérieur, où l’ensemble des membres des communautés collégiales ou universitaires ont un rôle à jouer.

Sur le plan de la gestion des bureaux EDI dans les établissements

  • Attribuer des mandats clairs et réalistes aux personnes responsables de l’élaboration et du déploiement des plans d’action EDI.
  • Augmenter et pérenniser les ressources humaines et financières dédiées à la mise en place, au suivi et à l’évaluation des plans d’action EDI (Campbell, 2021).
  • Miser sur la création de « communautés de pratique » destinées aux corps professoral et professionnel, permettant le partage de ressources et facilitant le transfert de connaissances et de bonnes pratiques EDI.
  • Créer un guide institutionnel portant sur la signification des termes clés de l’EDI afin d’établir une compréhension commune (ibid.).

Sur le plan de la gouvernance

  • Considérer l’équipe responsable du déploiement du plan d’action EDI en tant que partenaire majeur des instances décisionnelles (Hansen et al., 2021).
  • Nommer une personne de la haute direction dont le mandat explicite concerne la stratégie institutionnelle en matière d’EDI. 
  • Diversifier les instances de prise de décision sur les plans de l’origine ethnoculturelle, du genre, du milieu socioéconomique, etc. (Barnett, 2020), afin que les solutions ne reflètent pas seulement la vision des personnes issues de la majorité.
  • Impliquer toutes les parties prenantes dans la valorisation de l’EDI, que ce soit le personnel gestionnaire, professoral / enseignant, professionnel, technique et la population étudiante (Mercer-Mapstone et al., 2021).
  • Mettre à contribution les services des établissements, comme les bibliothèques, les services administratifs, pédagogiques, matériels, financiers, etc. dans le développement et l’adoption de pratiques inclusives (Fonds de recherche du Québec, 2021).
  • Prioriser certaines actions en lien avec les contextes institutionnels et les réalités (régionales ou urbaines, par exemple) pour donner une pertinence accrue au plan et garantir une meilleure mobilisation.

Sur le plan des ressources humaines

  • Procéder à l’examen des processus de dotation et de gestion des ressources humaines : le processus d’embauche (le tri des curriculums vitae, les grilles d’évaluation et les tests d’aptitudes) est-il exempt de biais et de préjugés ? Les conditions d’embauche excluent-elles d’emblée certaines personnes ? Certains groupes sont-ils systématiquement absents des candidatures et si oui, comment y remédier par des mesures plus proactives ? (Doutreloux et Auclair, 2021b).
  • Prioriser l’embauche de personnes issues de groupes minorisés dans la haute direction pour diversifier les manières de faire, de gérer et d’engager le dialogue.
  • Faire en sorte de viser directement certains groupes minorisés lors de l’affichage des postes et des embauches, en accord avec les lois et les programmes applicables.
  • Allouer des ressources de développement professionnel pour garantir une connaissance de base des enjeux en EDI pour l’ensemble du personnel (Hansen et al., 2021).

Sur le plan de l’évaluation des pratiques

  • Se doter de mécanismes de suivi de la mise en œuvre des plans d’action (Fonds de recherche du Québec, 2021).
  • Allouer des ressources humaines, financières, temporelles et matérielles pour développer un lieu de partage des pratiques exemplaires en matière d’EDI (Universités Canada, 2019).
  • Adopter une attitude prudente lors du choix des indicateurs de suivi et des cibles, afin d’éviter qu’ils ne soient conçus et déterminés que par le groupe majoritaire et contribuent à reproduire des inégalités (Scott, 2020).

Sur le plan des recherches futures

  • Documenter la façon dont les plans EDI ont été conçus, mis en œuvre et accueillis par les différents groupes qui composent la communauté collégiale ou universitaire (Tamtik et Guenter, 2019).
  • Documenter l’évaluation et les impacts des mesures et des pratiques EDI (Tzoneva et Gulian, 2020).
  • Améliorer les analyses intersectionnelles des données en ventilant les statistiques institutionnelles selon les différents groupes marginalisés (Universités Canada, 2019).
  • Poursuivre les recherches sur les liens entre les stratégies institutionnelles en matière d’EDI et l’accès, la persévérance et la réussite des personnes étudiantes.

Références

Amboulé Abath, A. (2022, 11 mai). Les pratiques inclusives et équitables en contexte de diversité socioculturelle : De quoi s’agit-il au juste en enseignement supérieur? [communication orale]. 89e congrès de l’Acfas, Québec, QC.

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Doutreloux, E. et Auclair, A. (2021a). Rapport d’enquête sur l’expérience étudiante en lien avec l’équité, la diversité et l‘inclusion. Service de recherche et de développement pédagogique du Cégep de l’Outaouais.

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Magnan, M.-O., Gosselin-Gagné, J., Charrette, J. et Larochelle-Audet, J. (2018). Gestionnaires et diversité ethnoculturelle en milieu scolaire : une recherche-action/formation en contexte montréalais. Éducation et francophonie, 46(2), 125‑145.

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