Les éditions de livres scientifiques ISTE ont récemment publié un ouvrage collectif (France, Canada, Suisse, Belgique) présentant des réflexions et outils pour concevoir et mettre en oeuvre des pratiques pédagogiques innovantes et responsables au regard des enjeux sociétaux actuels. Intitulé Compétences et approche-programme. Outiller le développement d’activités responsables (2018), le livre est dirigé par Catherine Loisy de l’Institut français de l’éducation de l’École normale supérieure de Lyon, et Jean-Claude Coulet, enseignant-chercheur en psychologie du développement à l’Université Rennes 2.

Contexte du débat actuel

L’approche-programme et l’approche par compétences sont de plus en plus adoptées dans les établissements d’enseignement supérieur, notamment européens. Le débat perdure néanmoins entre les promoteurs de ces approches et ceux qui y voient l’abandon des fondements humanistes de l’éducation, au profit d’une vision instrumentale de celle-ci. Ce sont donc des manières différentes d’aborder les savoirs qui s’affrontent ici. L’originalité de cet ouvrage collectif est de montrer qu’il est possible de dépasser ces positions campées en insistant sur « les processus en jeu dans les dynamiques de mobilisation et de construction des compétences individuelles et collectives « . Cette perspective permet en outre de réfléchir à des manières de concevoir et de mettre en oeuvre des pratiques pédagogiques face à des enjeux cruciaux pour l’avenir des futures générations.

Définir programmes et compétences

Bernard Reber, co-directeur de la série « Innovation et responsabilité » dans laquelle ce livre s’inscrit, souligne dans la préface que l’approche-programme s’oppose, grosso modo, à l’approche-cours. L’Université de Genève souligne à cet égard que :

« dans une approche-cours, chaque enseignement est conçu isolément et indépendamment des autres. La formation des étudiants peut donc prendre l’aspect d’un patchwork, sans fil conducteur. Il arrive que des enseignants se consultent et se coordonnent, mais il s’agit d’initiatives personnelles et non d’un mode de fonctionnement établi ». 

L’approche-programme est plus dynamique et exigeante dans la mesure où elle implique un projet de formation partagé, base d’un programme d’études (vision, valeurs, etc.) et exige une approche collégiale pour le mener. Les connaissances ne sont donc pas toutes présentes au début du projet ; elles sont co-construites dans l’expérience. Les compétences resteraient, quant à elles, difficiles à appréhender. Reber rappelle que nous n’observons souvent que l’activité et ses résultats, et que la compétence en soi est difficilement saisissable. À cela s’ajoute le fait qu’elle ne peut être seulement considérée de façon binaire (compétent/non-compétent) ou comme une performance, c’est-à-dire comme une habilité en vue d’effectuer une tâche, une fonction ou un rôle de façon adéquate. La compétence n’est pas « neutre » : plusieurs conceptions sous-tendent nos visions de la compétence : conceptions innéistes (les compétences seraient des qualités personnelles héritées), béhavioristes (par exemple, la pédagogie par objectifs en vue du rendement) ou encore constructivistes (les compétences seraient caractérisées par une grande diversité des points de vue théoriques). La plupart des auteurs de l’ouvrage semblent partager l’idée que la compétence est constituée d’éléments de différentes natures, conçus comme des ressources pour réaliser une activité définie. Les conceptions des compétences individuelles et collectives présentées dans cet ouvrage marquent « une rupture avec celles qui en font une simple juxtaposition de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être […], ou encore de connaissances, capacités et attitudes dans le monde de l’éducation ».

Quelques contributions éclairantes

Yves Lenoir, professeur-chercheur à la Faculté d’éducation de Sherbrooke, présente un premier chapitre intitulé Approche-programme, curriculum et approche par compétences : sens et non-sens à la lumière du néolibéralisme, dans lequel il présente les origines et le contexte de déploiement de l’approche-programme. Issue de l’aide internationale, la notion a ensuite été transférée en éducation. L’auteur présente également les dissemblances et ressemblances entre les logiques socioéducatives que sont le cursus, le curriculum et l’approche-programme.  Il conclut en décrivant les attributs jugés positifs de l’approche-programme et en discutant du poids du modèle éducatif néolibéral actuel. Dans le chapitre Un curriculum par compétences peut-il être un curriculum humaniste ?, Xavier Roegiers, professeur à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, en Belgique, discute des notions humanistes d’émancipation et de bien commun. Il promeut la valorisation de la conscience citoyenne plutôt que la soumission citoyenne et privilégie des changements progressifs aux changements radicaux. Il remet également au centre des préoccupations la question du sens et de l’équité en éducation, sans toutefois sacrifier le principe d’efficacité. Un autre chapitre intéressant est celui du psychosociologue français Christian Chauvigné, pour qui la compétence est un objet d’évaluation difficile à saisir. Dans le chapitre Une perspective développementale de l’évaluation des compétences, il explique qu’un référentiel est nécessairement caractérisé par son incomplétude, de par la nature de cet objet non exhaustif et évolutif. Il est néanmoins possible de construire un référentiel à partir d’un « faisceau d’indices pertinents » à partir du « champ des observables », dans une perspective d’adaptabilité constante à ce qui émerge de la pratique. Enfin, dans Points de repère pour opérationnaliser l’approche-programme et l’approche par compétences à l’université,  Catherine Loisy, Émilie Carosin et Jean-Claude Coulet tentent d’articuler l’approche-programme et l’approche par compétences. Les auteurs prennent leurs distances de l’approche-cours, en soutenant qu’il s’agit d’un cadre organisationnel marqué par l’isolement et la valorisation de l’expertise. L’approche-programme s’avère un cadre favorisant davantage la projection et l’opérationnalisation collective, donc une certaine forme d’intelligence collective. Les notions de compétences visées, effectives et explicitées sont également discutées dans ce chapitre. Pour visionner le webinaire du CAPRES sur l’approche-programme (février 2016)