Les auteurs A. Berner, R. Michaud et N. Poulet présentent une recherche sur les pratiques des employeurs dans les PME québécoises du secteur manufacturier relativement à l’adéquation entre les compétences et l’emploi. Au-delà du portrait que brossent les auteurs, cette étude permet un retour aux bases de cette discussion qui interpelle de plus en plus les établissements d’enseignement supérieur, les gouvernements et le milieu de l’emploi. Ce rapport du Groupe de recherche Transpol et de l’Université TÉLUQ porte sur la question centrale de l’adéquation formation-emploi ou son contraire, l’inadéquation, un enjeu dont l’importance a augmenté dans les dernières années. Devant une rareté de main d’œuvre annoncée, les PME verront leur besoin pour des travailleurs formés et compétents s’accroître, tout comme les besoins de formation et de développement continu des compétences. Pour y faire face, de bonnes pratiques de gestion des ressources humaines doivent être développées. Pour y voir plus clair, les auteurs ont réalisé une démarche de recherche à la fois quantitative (échantillon de 376 répondants ayant participé à une enquête téléphonique) et qualitative (39 entrevues individuelles) au sein de huit entreprises. Les participants sont des travailleurs de la production, des superviseurs et des contremaîtres, des responsables de la formation, de la dotation, des formateurs, des conseillers et des directeurs de ressources humaines.

Qu’est-ce que l’adéquation formation-emploi?

Dans les premiers chapitres du rapport, les auteurs font notamment plusieurs constats relatifs à la notion d’adéquation formation-emploi au sein des entreprises. Les principaux sont :
  • L’adéquation est une notion éclatée
  • L’adéquation est souvent présentée comme un défi à relever
  • Les pistes d’action pour répondre aux défis de l’adéquation sont nombreuses
  • Les obstacles vécus dans les entreprises limitent la portée de leurs interventions
  • La gestion dans les PME est distincte

Les conceptions

Les auteurs rappellent que l’adéquation « est une question de relation ou de comparaison entre, d’une part, les travailleurs qui détiennent des qualifications et des compétences et, d’autre part, les emplois qui comportent des exigences en matière de qualifications et de compétences pour réaliser diverses tâches ». Ainsi, on peut parler de l’adéquation comme d’une situation d’équilibre. Cela dit, c’est plutôt l’inadéquation qui a été l’objet de nombreuses études. Il s’agit d’une notion beaucoup plus difficile à définir. Il en va de même avec sa mesure, notent également les auteurs. Les trois conceptions les plus fréquemment rencontrées dans la littérature sont :
  • l’adéquation (ou l’inadéquation) basée sur le niveau de formation ou de qualifications de la main-d’œuvre, c’est-à-dire une situation de déséquilibre associée à une inadéquation entre les qualifications formelles ou les diplômes obtenus par les travailleurs et la formation exigée en emploi;
  • l’adéquation (ou l’inadéquation) basée sur l’utilisation des compétences de la main-d’œuvre où c’est l’utilisation qui pose problème, c’est-à-dire qu’il y a une surutilisation ou une sous-utilisation des compétences dans le cadre du travail;
  • l’adéquation associée à la disponibilité des travailleurs qualifiés et compétents sur le marché du travail pour combler les besoins de demandes de travail.

Le niveau d’analyse

Par ailleurs, les auteurs rappellent l’adéquation peut être analysée à la fois sur le plan individuel (caractéristiques personnelles), organisationnel (comportements des employeurs) et sociétal (nature des politiques publiques en matière de formation, d’éducation et d’emploi, et ce, dans un contexte économique, social et démographique donné). Pour eux, « les tenants et les aboutissants de l’adéquation, ses antécédents et surtout ses répercussions, et le fait qu’elle soit problématique ou pas ainsi que les interventions possibles, varient selon le niveau d’analyse », d’où l’importance de considérer chacun d’eux.

Les pistes d’intervention

L’analyse des données recueillies auprès des répondants a permis aux auteurs d’identifier les pratiques utilisées pour répondre aux défis de l’adéquation. Celles-ci ont été regroupées en trois catégories :
  • les pratiques portant sur le diagnostic,
  • les pratiques concernant la formation et l’apprentissage
  • les autres pratiques de gestion permettant l’adéquation formation-emploi.
En matière de pratiques liées au diagnostic de l’inadéquation entre les compétences et les exigences de l’emploi, il s’avère que les moyens sont très variés. Ils vont de l’observation à l’évaluation structurée des travailleurs (compétences et rendement). L’imposition d’une période probatoire fait partie de cette catégorie. L’analyse a permis de constater que ce sont les pratiques liées à la formation et l’apprentissage qui sont majoritairement mises de l’avant par les PME. On observe autant un recours à la formation formelle (interne et externe) qu’informelle (coaching, jumelage, mentorat, etc.). Quant aux autres pratiques de gestion, les auteurs indiquent qu’elles varient beaucoup en fonction des ressources, du temps et de l’expertise détenue à l’interne dans les entreprises (développement de la polyvalence chez les employés, mobilité des travailleurs, etc.).

Les obstacles et les facteurs de succès

L’étude se termine par une présentation des obstacles et facteurs de succès dans l’implantation des pratiques par les PME. Sur le plan des obstacles, les auteurs ont répertorié :
  • la résistance au changement, qui peut être causée par diverses raisons : l’expérience, la crainte de ne pas réussir, la fierté des travailleurs ou la crainte de perdre son avantage;
  • les exigences opérationnelles qui font en sorte que la formation peut être ralentie, retardée, voire même annulée si des objectifs de production doivent être atteints dans les délais impartis;
  • les difficultés sur le plan de la circulation de l’information;
  • le manque d’uniformité de la formation dispensée par les divers intervenants;
  • la longueur de la formation (dans la mesure où certains apprentissages ne peuvent se faire autrement que par l’acquisition d’expérience);
  • le fait que la formation scolaire initiale ne soit pas adaptée aux besoins organisationnels.
Les facteurs de succès sont :
  • l’initiative et l’intérêt des travailleurs à l’égard de l’apprentissage et la formation ;
  • les compétences des formateurs ;
  • le profil du superviseur (son niveau de compétence et sa confiance à l’égard de ses employés);
  • le climat de travail favorable empreint de respect, le travail d’équipe et l’entraide,
  • l’ouverture organisationnelle à la formation, le souci du développement des travailleurs et l’implication de la gestion à l’égard des activités de développement des compétences.