Les résultats d’une étude qualitative sur les expériences des personnes en situation de handicap en milieu universitaire montrent qu’elles se sentent souvent négligées et stigmatisées dans un environnement où la productivité et la « normalité » dominent.

Nicole Brown (University College London, Royaume-Uni) et Karen Ramlackhan (University of South Florida, États-Unis) ont publié les résultats de leur analyse des expériences de personnes en situation de handicap dans un récent article intitulé Exploring experiences of ableism in academia: a constructivist inquiry, paru dans la revue Higher Education (2022). Les deux chercheuses y analysent les propos d’universitaires qui ont partagé leurs parcours et leurs réflexions sur le handicap lors d’une conférence-atelier organisée à Londres, en mars 2018.

Brown et Ramlackhan (2022) annoncent d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une recherche formelle typique, mais d’une analyse constructiviste avec 80 personnes participantes qui avaient toutes des besoins d’accessibilité de différents niveaux. Trente autres personnes ont participé à un événement en petits groupes de discussion, lors duquel la conférence était présentée en direct (p.1229).

Les personnes participantes étaient d’âges différents, occupaient des rôles professionnels variés dans le milieu universitaire et étaient principalement préoccupées par l’expérience du handicap elle-même (ibid.).

Qu’est-ce que le « capacitisme » ?

Le capacitisme (ableism) est un « ensemble de croyances qui guident les pratiques culturelles et institutionnelles et qui attribuent des valeurs négatives aux personnes handicapées, tout en considérant les individus jugés normaux […] supérieurs à leurs homologues handicapés » (trad. libre de Annamma et al., 2013, dans Brown et Ramlackhan, 2022, p. 1227).

Les recherches sur le handicap interrogent les notions de normalité et de capacitisme, de même que la dichotomie entre les personnes handicapées et non handicapées. En enseignement supérieur, les « espaces organisationnels capacitistes » (ibid.) seraient ancrés dans les relations de pouvoir entre les personnes handicapées et non handicapées.

Lorsqu’il est considéré comme un atout précieux et non un « déficit » ou une « anormalité », le handicap peut être un vecteur d’inclusion. L’université peut ainsi devenir un espace d’inclusion et de pratiques positives où les personnes en situation de handicap peuvent s’épanouir (p.1228).

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Principaux résultats

Trois principaux thèmes ressortent de l’analyse de Brown et Ramlackhan (2022) :  la marginalisation des personnes en situation de handicap dans le milieu universitaire, le fait qu’elles se sentent réduites au silence et les perspectives d’amélioration de leurs expériences.

Marginalisation dans le monde universitaire

Les personnes participantes sont très attachées à l’altérité et à la différence, et font régulièrement des commentaires sur le fait que certaines façons de travailler ou de vivre ne sont pas jugées acceptables dans le milieu universitaire. Les personnes qui ont un handicap sont perçues comme moins productives et moins performantes. Une personne handicapée est dévalorisée et marginalisée parce qu’elle ne correspond pas à la conception et aux attentes normalisées du monde universitaire.

Le handicap peut réellement entraîner des conséquences qui affectent la productivité et l’assiduité : par exemple, la négociation des pressions quotidiennes, en plus de la gestion des paysages sonores ou de la luminosité, peut conduire à des niveaux accrus de fatigue et de lassitude (ibid.).

En même temps, lorsque des ajustements sont mis en place pour répondre aux besoins des individus, le fait d’être traité·e différemment est également considéré comme une forme de stigmatisation, qui est préjudiciable à l’expérience sociale et professionnelle des personnes handicapées dans le monde universitaire (p.1232).

Les chercheuses notent que la diversité des handicaps – visibles et invisibles – présents au sein du personnel et de la population étudiante est peu reconnue, y compris par les personnes en situation de handicap elles-mêmes. Par exemple, lorsqu’elles ont échangé sur leurs expériences de la différence et de l’altérité, certaines personnes se sont presque excusées de ne pas avoir des problèmes « aussi graves » que d’autres (ibid.). Elles se sentaient donc marginalisées au sein d’un groupe d’individus marginalisés.

Néanmoins, indépendamment de la perception que chaque personne a de sa position dans le continuum des handicaps, la complexité et les nuances de leurs réalités oppressives dans le monde universitaire sont le fil conducteur qui les lie (ibid.).

Réduites au silence dans le monde universitaire

Les personnes participantes font spécifiquement référence à la culture dominante de surcharge de travail et de productivité, notamment aux efforts nécessaires à l’obtention d’un aménagement raisonnable. Il s’agit de temps que les personnes non handicapées peuvent consacrer au travail universitaire habituel (p.1232).

En effet, les universitaires doivent démontrer quantitativement leur productivité par des publications, des citations, des évaluations étudiantes, ce qui entrave souvent les efforts des groupes historiquement marginalisés. Par exemple, avant la pandémie de COVID-19, le fait pour certaines personnes handicapées de ne pas pouvoir présenter de conférences à l’étranger pouvaient nuire à leur avancement de carrière (p.1233).

Les personnes handicapées se sentent également « réduites au silence » par rapport à leur travail intellectuel. On attend de celles qui ont ouvertement révélé leur condition qu’elles deviennent des activistes du handicap. Par conséquent, les types de débats auxquels elles sont conviées portent souvent davantage sur le handicap que sur l’objet de leurs travaux.

Perspectives d’amélioration des expériences des personnes en situation de handicap

Les personnes participantes ont souligné que certaines pratiques doivent devenir la norme, comme le sous-titrage en direct ou l’utilisation de microphones, l’enregistrement et le streaming (p.1234).

Selon des personnes participantes, des changements d’attitude ne seront possibles qu’en sensibilisant davantage le monde universitaire à l’expérience vécue de la maladie chronique et du handicap.

En effet, de nombreux cas de discrimination et de marginalisation ne seraient pas intentionnels, mais découleraient d’un manque de sensibilisation et de compréhension.

Recommandations

Afin de devenir plus conscients et conscientes de ce que cela signifie d’avoir un handicap en milieu universitaire, et de la manière dont nous pouvons être des alliées et des alliés dans cet environnement, la principale recommandation des chercheuses est d’apprendre à écouter les personnes en situation de handicap (p.1237)

Elles proposent également quelques impératifs pour améliorer leur vie en milieu universitaire :

  • le pouvoir et la responsabilité des personnes dirigeantes, comme les directions de département, sont essentiels pour créer des conditions de soutien des personnes en situation de handicap;
  • les procédures flexibles et adaptables doivent se poursuivre après la pandémie. Il est aussi nécessaire de mettre en place des formations axées sur la compréhension des expériences des personnes handicapées et des divers moyens de les soutenir.

Brown et Ramlackhan (2022) voient en effet un lien important à établir entre le travail existant sur le capacitisme dans le milieu universitaire et les développements les plus récents sur les méthodes de travail flexibles, différentes et créatives qui ont vu le jour pendant la pandémie de COVID-19.

Enfin, les deux chercheuses soutiennent qu’une conception universelle de l’apprentissage et de l’enseignement qui est axée réellement sur l’inclusion et l’équité plutôt que sur des ajustements particuliers serait bénéfique pour l’ensemble de celles et ceux qui travaillent, étudient et vivent à l’université.

Référence :

Brown, N., Ramlackhan, K. (2022). Exploring experiences of ableism in academia: a constructivist inquiryHigh Educ 83,1225–1239. DOI: https://doi.org/10.1007/s10734-021-00739-y