Dans un article intitulé « Les acquis de la formation doctorale : perceptions des compétences développées », publié dans le plus récent numéro de la Revue canadienne d’enseignement supérieur, Marcelline Bangali soutient qu’il faut mettre un bémol à l’idée d'une inadéquation entre la formation doctorale et le marché de l’emploi.

La chercheuse, qui est professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval et responsable de l’Observatoire canadien des parcours professionnels des titulaires de doctorat, propose de répondre à deux questions : quelles perceptions ont les titulaires de doctorat de leurs compétences doctorales (développées grâce à leur formation)? Et quelles perceptions ont des « responsables d’organisations » de ces compétences?

Pour répondre à ces questions, elle a effectué une analyse comparative des perceptions de ces deux groupes (diplômé·es et responsables d’organisations), afin d’en dégager les divergences et les convergences. Sa recherche porte néanmoins une attention particulière aux convergences.

Qu’est-ce qu’une compétence?

D’emblée, la chercheuse reprend les mots de Kahn et Rey (2016) :

« La notion de compétence souffre d’une incertitude épistémologique. »

Kahn et Rey (2016), cité dans Bangali, p. 4

Certains la définissent comme « un processus complexe d’adaptation à une situation, davantage que comme une accumulation de savoirs, savoir-faire ou savoir-être » Jonnaert (2011, 2014). D’autres, critiques à l’égard de cette définition axée sur la performance et l’efficacité, privilégient une conception insistant sur l’apprentissage expérientiel des compétences au sein du système scolaire.

« La compétence ne relève pas seulement de l’agir : la compétence est une action réfléchie, c’est-à-dire une action médiatisée par la réflexion. En ce sens, développer la compétence, ce savoir-agir en situation, c’est aussi développer une capacité d’analyse pour problématiser les situations indéterminées qui surviennent, juger des ressources qui seront nécessaires pour surmonter les problèmes rencontrés et les mettre en œuvre à bon escient pour rétablir le continuum expérientiel. »

Pepin (2016), p. 27, cité dans Bangali, p. 17

Méthodologie

Bangali retient cette dernière conceptualisation pour encadrer son analyse et privilégie une méthode de recherche mixte à devis séquentiel. La première partie qualitative de l’analyse repose sur des entretiens semi-directifs (85 titulaires de doctorat en emploi et 21 responsables d’organisations).

Le logiciel d’analyse de données textuelles Alceste a été retenu pour l’analyse des résultats. Il a permis d’identifier 45 « items » sur les compétences des titulaires d’un doctorat. Ces items ont ensuite alimenté des questionnaires proposés à 2139 titulaires de doctorat en emploi et 215 responsables d’organisations.

L’étude de la convergence des perceptions repose sur une étude quantitative basée sur des analyses descriptives de comparaison de moyennes standardisées (d de Cohen).

Résultats

L’analyse des mots significatifs grâce au logiciel Alceste a permis à Bangali de recenser deux catégories dans le discours des diplômé·es. La première évoque des compétences transversales, par exemple : « projet, rigueur, écrits/écriture, idée, lecture, confiance, gestion, argumentation ». La seconde évoque des compétences clés, par exemple : « trouver, solution, rapide, saisir, gérer, patient, analyser, persévérant ». Par ailleurs, les réponses des diplômé·es semblent étayer la notion de compétence retenue par Bangali.

Quant aux perceptions des « responsables d’organisations », l’analyse révèle autant une perception d’adéquation de la formation doctorale avec le marché de l’emploi (développement de connaissances de pointe et capacité à comprendre les phénomènes avec sagacité) qu’une inadéquation. Deux catégories de discours ont également été répertoriées grâce au logiciel Alceste concernant les perceptions du second groupe sondé. La chercheuse a retenu une seule catégorie de réponses, plus pertinente par rapport à sa problématique. La catégorie est caractérisée par ces mots : doctorat, docteur, comprendre, pointu, capacité, recherche, connaissance.

Image : Canva

L’analyse croisée a fait ressortir une convergence des perceptions des deux groupes étudiés sur 10 des 45 items, notamment concernant ces compétences :   

« 1. Capacité d’analyse et de synthèse;

2. à la résolution de problèmes complexes;

3. à la communication écrite comme orale;

4. à l’esprit critique;

5. et à la créativité. »

Bangali, p. 23

Afin d’éclairer ses résultats, la chercheuse reprend le concept d’intentionnalité de Kahn et Rey (2016). Par ce concept, il s’agit de prendre en considération la vision du monde des diplômé·es. Au regard de cette lecture, des diplômé·es jugé·es incompétent·es par le second groupe étudié (responsables d’organisations) posséderaient des compétences pertinentes. Ils porteraient simplement un autre regard sur le monde que celui attendu par certains employeurs, ce qui influencerait leur intentionnalité.

Limites et pistes de recherche

Son choix d’une conceptualisation particulière de la notion de compétence, d’après Pepin (2016) et Kahn & Rey (2016), a influencé ses résultats, selon Bangali. De plus, une vision globale des perceptions privilégiée dans cette recherche s’est faite au détriment d’une analyse plus fine qui aurait analysé les compétences doctorales au regard de disciplines spécifiques.

Selon Bangali, d’autres chercheur·euses pourraient tenter de « démontrer la corrélation entre les compétences recensées et la formation doctorale » par le biais de tests statistiques, par exemple. Elle invite les chercheur·euses à entreprendre une recherche longitudinale auprès de diplômé·es ayant des profils disciplinaires variés.

Cela dit, les résultats de la recherche démontrent que les diplômé·es sont outillé·es pour développer des compétences essentielles répondant aux différents défis du marché du travail actuel. Ainsi, le doctorat aurait une plus-value.

La problématique serait plus complexe qu’une vision linéaire de l’adéquation ou de la transférabilité des compétences doctorales. L’autrice évoque plutôt des enjeux relatifs à :

« 1. La dynamique des processus de construction identitaire qui déterminent l’élaboration du projet personnel et professionnel chez les doctorants;

2. l’analyse des processus sous-jacents au développement des compétences. »

Bangali, p. 25

Ces processus permettraient de mieux cerner l’intentionnalité qui anime les diplômé·es lorsqu’ils doivent déployer leurs compétences sur le marché du travail.

Références : Bangali M. (2021). Les acquis de la formation doctorale : perceptions des compétences développées. Revue canadienne d’enseignement supérieur, 51(1), 15-27.

Jonnaert, P. (2011). Sur quels objets évaluer des compétences? Éducation et Formation, 296, 31-43.

Jonnaert, P. (2014). Évaluer des compétences? Oui, mais de quelles compétences s’agit-il? Dans C. Dierendonck, E. Loarer et B. Rey (dir.), L’évaluation des compétences en milieu scolaire et en milieu professionnel (p. 35-55). Belgique : De Boeck Université.

Pepin, M. (2016). Le développement de compétences à l’école primaire au regard de la théorie de l’enquête de Dewey. Éducation et francophonie, 44(2), 19-39.

Kahn, S. et Rey, B. (2016). La notion de compétence : une approche épistémologique. Éducation et francophonie, 44(2), 4-18.