La consommation d’amplificateurs cognitifs par les étudiants collégiaux et universitaires en vue d’augmenter leur performance scolaire est devenue une préoccupation dans les années 2000 (Teter et al., 2003; Kroutil et al., 2006) et 2010 (Lakhan et Kirchgessner, 2012; CCLT, 2016), au même moment que l’essor des analyses sur le perfectionnisme et l’anxiété de performance (Andrews et Wilding, 2004; Sady, 2010; Nelson et Harwood, 2011).

Les amplificateurs cognitifs – smart drugs, psychostimulants, nootropes – sont des substances psychoactives connues sous leur appellation commerciale (Ritalin®, Adderall®, Concerta®, etc.). Ils optimiseraient certaines capacités du système nerveux central, décupleraient la concentration et la mémoire et diminueraient les effets ressentis de la fatigue.

Les taux d’usage non médical de psychostimulants chez les étudiants postsecondaires est d’environ 4 % à 6 %, selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS, 2018). Les statistiques sont toutefois variables : certaines études font état de taux de prévalence allant jusqu’à 43 % (ibid.).

Ces écarts statistiques dans les taux d’usage s’expliquent par le fait que, d’une part, certains étudiants consommateurs surestiment le nombre d’usagers aux fins de normalisation – « tout le monde en prend, c’est comme du café », rapporte un étudiant (cité dans Thoër et Robitaille, 2011) – alors que d’autres sous-estiment ce type de consommation en raison de son caractère illégitime et de son association à la tricherie. Au Québec, les résultats des études (Forlini et Racine, 2009ab; Lebrun, 2016; Thoër et Robitaille, 2011) sont cohérents avec ceux des études canadiennes et américaines, où entre 3 % et 11 % d’étudiants seraient des consommateurs.

Une stratégie d’adaptation à des milieux exigeants et compétitifs

Les étudiants évoquent globalement les mêmes raisons pour expliquer leur consommation d’amplificateurs cognitifs : augmenter leur performance scolaire, compenser des limites personnelles, s’adapter aux milieux jugés exigeants et compétitifs et assumer de multiples rôles sociaux (Thoër et Robitaille, 2011).

Pour certains, l’utilisation de ce type de psychostimulants vise à se démarquer des autres et à figurer parmi les meilleurs : le médicament leur confèrerait alors une longueur d’avance (ibid.). Pour d’autres, il semble que ce soit une stratégie pour s’adapter aux pressions sociales auxquelles ils se sentent soumis. Il ne s’agit donc pas de figurer parmi les meilleurs, mais seulement de passer au travers du cursus scolaire, d’être capable de naviguer à travers l’institution universitaire (ibid.).

La consommation d’amplificateurs cognitifs serait ainsi une stratégie d’adaptation aux nombreuses exigences et obstacles auxquels font face les étudiants (Svetlov et al., 2007). La vision actuelle de la réussite et de la performance scolaires engendrerait un stress pour ces jeunes adultes, dont l’une des réponses est de consommer des psychostimulants pour concilier travail et études, réaliser des marathons d’études, effectuer plusieurs travaux en un court laps de temps, se tenir éveillé de longues heures, etc.

Dépendance psychologique

Or, il n’est pas certain que l’amélioration des performances académiques soit réellement attribuable aux médicaments eux-mêmes. Une récente recherche (CCDUS, 2018) a montré que ceux qui prennent des psychostimulants ont en fait de moins bonnes notes que ceux qui n’en prennent pas. En septembre 2011, trois chercheurs avaient déjà mis en lumière les risques d’une consommation non médicale de médicaments stimulants disponibles sous ordonnance (Rosenfield et al. 2011). Ils soulignaient que les bénéfices notés par ces utilisateurs ne seraient en fait qu’un mythe, puisque plusieurs études ne parviendraient pas à démontrer l’amélioration cognitive de l’utilisation de psychostimulants sans suivi médical.

Par ailleurs, il est documenté que les amplificateurs cognitifs peuvent entraîner des risques de dépendance psychologique (Gosselin, 2011; Rouillard cité dans Schneider, 2017). Le risque de toxicité et de dépendance augmente si le médicament est acheté sur le marché noir, en raison de la présence possible dans le produit de d’autres substances dont la métamphétamine (meth), une drogue de synthèse hautement addictive (Santé Canada, 2018).

L’étudiant qui consomme des amplificateurs cognitifs peut développer une dépendance psychologique, en associant consciemment ou non une bonne performance scolaire et une prise d’amplificateurs (Rouillard, dans Schneider, 2017). Le stress scolaire est alors apaisé par l’acte de consommer, qui permet de reprendre le contrôle. L’étudiant ne développe alors pas d’autres stratégies d’adaptation.

La consommation de ce type de substance n’implique pas nécessairement son utilisation excessive, mais peut quand même signifier une forme de pharmacodépendance, notamment de type épisodique.

(Thoër, Pierret et Lévy, 2008)

Le risque est aussi que certains continuent de consommer des psychostimulants après leur diplomation, dans leur milieu de travail, parce qu’ils n’ont pas développé d’autres stratégies d’adaptation au stress pendant leur parcours postsecondaire.

Facilité d’accès

Les médicaments psychostimulants sont faciles d’accès, et ce, autant légalement qu’illicitement. D’abord, il est relativement facile d’identifier les symptômes des troubles cognitifs sur la toile, ce qui peut augmenter les diagnostics de TDAH et les « prescriptions sur mensonge ». D’autre part, plusieurs étudiants se procurent ces substances par l’intermédiaire de connaissances ou des amis qui détiennent eux-mêmes une prescription (Teter et al., 2003).

Plusieurs étudiants consommateurs ont été initiés à cette pratique par leurs amis ou leurs collègues d’études qui leur ont offert une occasion de l’expérimenter (Thoër et Robitaille, 2011). Certains ont décidé de faire un essai de ces produits parce qu’ils en entendaient parler sur le campus. Enfin, certains effectueraient de nombreux tests par des microdoses pour connaître leur potentiel cognitif des substances, de même que leurs propres limites en vue de contrôler leur consommation.

Prévention et promotion

En somme, la prévalence de la consommation d’amplificateurs cognitifs semble être attribuable à plusieurs facteurs, parmi lesquels figurent la banalisation de leur usage sans suivi médical, l’augmentation des pressions sociales à performer, la facilité d’accès aux produits, le fait que de nombreux jeunes adultes souhaitent concilier études, travail et vie sociale, dans une tendance croissante à la performance individuelle (Thoër et Robitaille, 2011). Il est possible d’ajouter à ces facteurs le manque de stratégies alternatives des étudiants évoluant dans un contexte exigeant de même que la vision d’une réussite sans échec, inscrite dans une logique de rendement et de productivité (Carle, 2017).

C’est en raison de cette prévalence qu’il importerait de sensibiliser les jeunes à la réelle incidence de cette pratique et aux effets secondaires qui lui sont associés, particulièrement en tant que « béquille psychologique » (Rouillard, cité dans Schneider, 2017) pouvant mener à des problèmes de dépendance.

Dans une récente étude, Lebrun (2016) recommande que les programmes d’intervention intègrent de manière plus explicite la consommation de psychostimulants, par la mise sur pied d’une campagne d’information sur leurs effets à long terme.

Elle émet une autre recommandation relevant davantage d’une approche-programme au sein des établissements collégiaux et universitaires, à savoir que les enseignants se consultent lors de la détermination des dates de remise et d’examens. À titre d’exemple, la mise sur pied d’un calendrier commun d’évaluations serait une pratique relativement simple à mettre en place.

Comme la consommation d’amplificateurs cognitifs devient une préoccupation grandissante dans les établissements postsecondaires, une réflexion s’impose sur la manière d’aborder ce problème, afin d’éviter de reporter sur l’individu seul le fardeau de l’adaptation aux exigences des milieux collégial et universitaire. Pour cela, interroger la notion de réussite (voir Notion clé. De quelle réussite parle-t-on?) telle qu’elle est valorisée, diffusée et interprétée par les étudiants collégiaux et universitaires peut s’avérer une porte d’entrée intéressante.