Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à identifier les obstacles institutionnels d’accès à l’enseignement supérieur collégial des personnes allophones issues de l’immigration récente et à proposer de nouvelles façons de faire pour favoriser leur accès. 

Pour plus de détails, consulter : Doutreloux, E. (2023, à paraître). Discrimination systémique à l’enseignement supérieur collégial : une grille d’analyse pour modifier les pratiques institutionnelles. Revue ERADE. Enseignement et recherche en administration de l’éducation.

Contexte 

Des défis persistants d’accès à l’enseignement supérieur au Québec

En 1964, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement publiait son rapport phare, le Rapport Parent, qui dénonçait avec véhémence les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur au Québec. Fortement animées par les principes d’équité et de justice sociale, les recommandations de la Commission ont mené à la création des cégeps afin que toute personne désirant poursuivre des études puisse le faire, quelle que soit sa provenance (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 2004).  

Bien que cet accès inédit à l’enseignement supérieur ait bénéficié aux femmes, aux francophones et aux personnes issues de milieux défavorisés (Eckert, 2010), plusieurs recherches montrent que les inégalités sociales d’accès à l’enseignement supérieur subsistent aujourd’hui et que les efforts déployés n’effacent pas pour autant les mécanismes de discrimination systémique qui affectent particulièrement les groupes minoritaires et marginalisés en éducation (Ratel et Pilote, 2017; Kamanzi, Goastellec et Picard, 2017).  

À cet effet, les personnes allophones issues de l’immigration récente sont désavantagées par rapport à leurs concitoyennes issues des groupes majoritaires lorsqu’elles envisagent rejoindre un programme d’études préuniversitaires ou techniques au collégial puisqu’elles se trouvent à l’intersection de trois formes de catégorisation : soit être issue de l’immigration, ne pas avoir été scolarisé dans la langue de la société d’accueil, et avoir tout récemment débuté leur vie dans une nouvelle société.  

Concept clé 

Qu’entend-on par égalité d’accès ?  

On dénombre dans la littérature plusieurs types d’égalité compris dans la notion « égalité des chances en éducation » : l’égalité d’accès, l’égalité des acquis, l’égalité des résultats et l’égalité de traitement (Doutreloux, 2020). Notre projet de recherche interpelle le concept d’égalité d’accès qui désigne une situation où tous les individus ont les mêmes chances d’accéder à des services dans un système d’éducation (Conseil supérieur de l’éducation, 2016). Son objectif est de garantir le droit à l’instruction, indépendamment des frais de scolarité ou des situations individuelles ou familiales (Verhoeven, Orianne et Dupriez, 2007). Cela suppose l’accès à l’information et l’accès géographique et physique à un établissement d’enseignement (Legendre, 2005). L’égalité d’accès représente la mère de toutes les égalités face à l’école (Dupriez et Verhoeven, 2006).  

Méthodologie

L’expérience vécue des personnes discriminées comme point de départ  

  • Type de recherche : Recherche-action participative, qualitative
  • Population étudiée : Personnes allophones issues de l’immigration récente et du personnel impliqué dans la chaîne de services leur étant destinés. 
  • Lieu et période de la recherche : Cégep de l’Outaouais, entre 2017 et 2020

En plus d’identifier les obstacles institutionnels d’accès à l’enseignement collégial, nos travaux souhaitaient donner la parole à des personnes historiquement moins entendues; ceci, dans une perspective d’émancipation.  

Ainsi, nous avons déployé une étude multicas et mené dix entrevues semi-dirigées. Nous avons utilisé une analyse thématique fermée pour faire ressortir les quatre catégories d’obstacles institutionnels théorisés par Cross (1981), soit ceux liés aux programmes, aux politiques, aux procédures et aux pratiques qui régissent le contexte d’enseignement. Le tout a été validé par les personnes allophones participant à la recherche.

Résultats

Des obstacles institutionnels qui bloquent l’accès à l’enseignement collégial  

Des éléments problématiques relatifs à l’accès aux études collégiales des personnes allophones issues de l’immigration récente ont été recensés au sein : 1) des programmes, 2) des politiques, 3) des pratiques et 4) des procédures qui régissent le contexte d’enseignement collégial.

Deux principaux obstacles liés (1) aux programmes ont émergé : le manque de flexibilité dans la reconnaissance des cours complétés à l’extérieur du Québec et l’annulation fréquente du cours d’amélioration du français faisant partie du cheminement Tremplin DEC. Au sujet (2) des politiques, des irritants existent au niveau du coût élevé des traductions et du test de classement en français1. Pour ce qui est (3) des pratiques en place, les principaux problèmes identifiés mentionnent l’emplacement prévu pour la passation du test de classement en français et le manque de soutien relatif au processus d’admission. Finalement, au chapitre (4) des procédures, nous avons noté des difficultés au niveau de la durée du processus d’admission, de l’accès à la documentation requise pour compléter le processus (relevés de notes, diplômes, descriptions de cours et de programmes), puis de l’accès à l’information sur le programme, les tests et les exigences.  

Toutes catégories d’obstacles institutionnels confondues, cinq freins s’avèrent plus importants pour les personnes allophones.

Titre du Graphique 1 : Principaux obstacles institutionnels à l’accès aux études collégiales pour les personnes allophones issues de l’immigration récente 

Graphique à barres horizontales présentant chacun des principaux obstacles institutionnels à l’accès aux études collégiales pour les personnes allophones issues de l’immigration récente. Le premier obstacle « Délais entre le début de la planification du projet d’études et l’admission » a été nommé par trois personnes. Le deuxième obstacle « Équivalence de diplômes » a été nommé par cinq personnes. Le troisième obstacle « Accès à l’information » a été nommé par sept personnes. Le quatrième obstacle « Test de classement en français » a été nommé par 16 personnes. Enfin, le cinquième obstacle « Manque de soutien » a été nommé par 17 personnes. 

La source des données de ce graphique est la thèse de doctorat (2020) de l’autrice de l’article, soit Emilie Doutreloux.

L’obstacle qui revient le plus souvent est le manque de soutien.

Les personnes ont témoigné avoir besoin de soutien avant et pendant le processus d’admission. On réfère ici au manque de soutien dans les procédures administratives, des lacunes sur le plan de l’information et de l’accompagnement des personnes étudiantes par les services du Cégep, notamment à propos des tests de classement et des exigences des programmes. En ce qui concerne le test de classement en français, plusieurs parlent des effets de déclassement, des conditions de passation difficiles et du stress associé au test. Les résultats ont aussi fait ressortir un problème important au niveau de l’accès à l’information, du processus de reconnaissance des diplômes obtenus à l’extérieur du pays et finalement, du long délai entre le début de la planification du projet d’études et la confirmation de l’admission. 

Que retenir de nos résultats ?

De la parole aux gestes  

Les établissements d’enseignement gagnent à valoriser les résultats de la recherche et à apporter des modifications à leurs politiques pour favoriser une meilleure accessibilité des personnes allophones issues de l’immigration récente.

Avide de suggestions pour rendre ses pratiques plus équitables et inclusives, la Commission des études du Cégep de l’Outaouais, conseillée par la Direction des études, le comité du cheminement Tremplin DEC et l’assemblée départementale de Français, a apporté des modifications à ses politiques à la suite de nos travaux de recherche.  

Deux modifications ont ainsi été effectuées : 

  • Modification aux Procédures relatives à l’admission et à l’inscription dans un programme menant à un diplôme d’études collégiales : changement du seuil minimal de réussite au test de classement en français destiné aux allophones, modulé et plus réaliste.  
  • Modification au Règlement relatif à l’admission et à l’inscription dans un programme d’études collégiales : ajout d’un libellé afin de prendre en compte les notions d’égalité d’accès telles que définies dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (2019c). 

Le repérage des obstacles institutionnels d’accès aux études collégiales touchant les populations étudiantes vulnérabilisées peut être effectué grâce à un examen des procédures.

Découlant de notre recherche, une grille d’analyse a été construite comme un outil d’examen des procédures. Cette grille s’adresse au personnel de l’enseignement supérieur.  

Il est suggéré d’effectuer une analyse des pratiques à partir de chacune des rubriques de la grille. Afin d’optimiser les résultats, cette analyse devrait être réalisée à l’intérieur d’un comité représentatif de la diversité de la population étudiante dans le but de favoriser les points de vue pluriels.

Titre du Tableau 1 : Grille d’analyse pour repérer les obstacles institutionnels d’accès aux études collégiales

Un tableau en quatre colonnes présente les différents obstacles et les éléments y étant associés. Dans la première colonne, intitulée « Programmes », se trouvent les éléments : offre, choix et horaires. Dans la deuxième colonne intitulée « Politiques » se trouvent les éléments : facteurs économiques (les coûts des examens et les traductions), les exigences provinciales ainsi que les exigences locales (l’évaluation et le classement). Dans la troisième colonne, intitulée « Pratiques », se trouvent les éléments : lieu géographique, disponibilité du transport, mesures de soutien (avant et pendant le processus) et les mesures d’accueil. Finalement, dans la quatrième colonne intitulée « Procédures » se trouvent les éléments : documentation requise, processus d’admission et d’inscription et accès à l’information. 

La source des informations contenues dans ce tableau est une inspiration de Cross (1981). Adults as Learners. Jossey-Bass.

La participation au projet de recherche a permis aux personnes allophones d’affirmer un sentiment accru d’autonomisation et d’émancipation (empowerment). 

Le rôle prépondérant qu’ont joué les personnes allophones dans les différentes étapes de la recherche a généré chez elles un sentiment de démarginalisation (Mayoux, 1998). Elles ont souligné leur sensation de pouvoir et d’influence vis-à-vis des situations sur lesquelles elles n’avaient auparavant pas de prise. 

Pistes d’action

  • Organiser l’information sur le processus d’admission en remodelant les sites Internet institutionnels et en produisant du matériel incluant des visuels aidant à la compréhension. 
  • Réévaluer la pertinence et l’efficacité des tests de classement en français et modifier les niveaux d’entrée au besoin. 
  • Créer des liens avec des partenaires externes (écoles de francisation, etc.) pour faire connaître les possibilités offertes par le cégep (formation régulière et continue) pour harmoniser l’offre de cours destinés aux personnes allophones. 
  • Intégrer des services pour les personnes allophones dans un projet de guichet unique destiné à la population étudiante.

Pistes de recherche

  • Étudier les autres catégories d’obstacles à la formation théorisés par Cross (1981) :  
    • Obstacles situationnels : font référence aux situations quotidiennes et aux facteurs liés à l’environnement physique et social immédiat de la personne, tels que l’économie, la culture et la structure familiale. 
    • Obstacles dispositionnels : liés aux attitudes, aux croyances et aux connaissances que la personne entretient à l’égard de l’éducation et de l’apprentissage en lien avec ses valeurs et la perception qu’elle a d’elle-même comme personne apprenante. 
  • Étudier les autres types d’égalité compris dans l’égalité des chances en éducation, soit l’égalité des acquis, l’égalité des résultats et l’égalité de traitement. 

1 À l’instar de quelques autres établissements du réseau collégial, le Cégep de l’Outaouais exige un test de classement en français pour les personnes candidates allophones ayant complété l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires (DES) dans un établissement scolaire non francophone. Un seuil minimal d’entrée est établi localement.

Pour approfondir le sujet

Doutreloux, E. (2023, à paraître). Discrimination systémique à l’enseignement supérieur collégial : une grille d’analyse pour modifier les pratiques institutionnelles. Revue ERADE. Enseignement et recherche en administration de l’éducation. 

Doutreloux, E. (2023, à paraître). Égalité d’accès à l’enseignement supérieur : la situation des personnes migrantes. Dans R. Gonzalez Delgado, D. Groulx, E. Voulgre, M-F. Fafard et M. Castisano (dir.), Quelles inégalités en éducation dans le monde ? (p. 178-184). L’Harmattan. 

Doutreloux, E. (2020). Égalité d’accès à l’enseignement collégial : le cas des allophones issus de l’immigration récente étudié par une équipe de recherche-action participative [thèse de doctorat, Université de Sherbrooke].  


Références

Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (2004). Rapport Parent. Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec.  

Conseil supérieur de l’éducation (2016). Remettre le cap sur l’équité : Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016. Le Conseil. 

Cross, K. P. (1981). Adults as Learners. Jossey-Bass. 

Doutreloux, E. (2020). Égalité d’accès à l’enseignement collégial : le cas des allophones issus de l’immigration récente étudié par une équipe de recherche-action participative [thèse de doctorat, Université de Sherbrooke]. 

Dupriez, V. et Verhoeven, M. (2006). Débat sur l’égalité à l’école. Fondements normatifs et politiques éducatives en Belgique francophone. Les Temps Modernes, 637-638-639(3), 479-501.  

Eckert, H. (2010). Le cégep et la démocratisation de l’école au Québec, au regard des appartenances socioculturelles et de genre. Revue des sciences de l’éducation, 36(1), 149-168.  

Kamanzi, P. C., Goastellec, G. et Picard, F. (2017). L’envers du décor : Massification de l’enseignement supérieur et justice sociale. Presses de l’Université du Québec. 

Legendre, R. (2005). Dictionnaire actuel de l’éducation. Guérin. 

Mayoux, L. (1998). L’empowerment des femmes contre la viabilité ? Vers un nouveau paradigme dans les programmes de microcrédit. Dans Y. Preiswerk (dir.), Les silences pudiques de l’économie : économie et rapports sociaux entre hommes et femmes (p. 7397). Commission nationale suisse pour l’Unesco. 

Ratel, J.-L. et Pilote, A. (2017). Les parcours universitaires et l’identité autochtone chez les étudiants des Premières Nations au Québec. Dans P. C. Kamanzi, G. Goastellec et F. Picard (dir.), L’envers du décor : Massification de l’enseignement supérieur et justice sociale (p. 169-186). Presses de l’Université du Québec. 

Verhoeven, M., Orianne, J.-F. et Dupriez, V. (2007). Vers des politiques d’éducation « capacitantes » ? Formation emploi : Revue française de sciences sociales, 98, 93-108. 


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay

Révision linguistique : Sandrine Bourget-Lapointe  

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ISSN 2817-2817