Marie-Odile Magnan
Professeure titulaire au Département d’administration et fondements de l’éducation de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire en relations ethniques
Université de Montréal
Numéro 1 – 2023
Pour citer cet article
Marie-Odile Magnan
Professeure titulaire au Département d’administration et fondements de l’éducation de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire en relations ethniques
Université de Montréal
Consulter le dossier
Équité, diversité et inclusion (EDI) : au cœur de la réussite étudiante
Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à éclairer le rôle de l’Université en tant qu’espace contribuant à la (re)production des rapports de domination.
Pour plus de détails, consulter : Magnan, M.-O., Collins, T., Darchinian, F., Kamanzi, P. C. et Valade, V. (2021). Student Voices on Social Race Relations in Universities in Quebec. Race Ethnicity and Education.
Des recherches montrent que, pour certains groupes racisés au Québec, des effets attribuables à la discrimination scolaire, voire au racisme systémique, jalonnent leur parcours du primaire jusqu’aux études postsecondaires. Pour celles et ceux qui sont originaires d’Haïti ou d’Afrique subsaharienne, la littérature académique met en évidence une surreprésentation en adaptation scolaire et à la formation générale des adultes et une diplomation moins élevée à l’université (Mc Andrew et al., 2015). Pour les élèves du primaire et du secondaire né·es de parents haïtiens plus spécifiquement, on recense une exposition plus importante au profilage racial, un vécu de racisme et de discrimination de la part des pairs et du personnel scolaire (Collins et Magnan, 2018).
Ces tendances, touchant certains groupes racisés, sont également observées dans d’autres provinces canadiennes (Dei et Kempf, 2013) et d’autres pays (Gillborn et al., 2012). Des récits d’expériences du climat racial ressenti, du vécu d’isolement, de discriminations, de conflits raciaux, de microagressions au quotidien sur les campus sont analysés dans diverses recherches (Bhopal, 2017; Suarez-Balcazar et al., 2003). Les personnes étudiantes interrogées y dénoncent notamment le contenu ethnocentrique des cours, ne reflétant pas leur communauté ou leur groupe (Bailey, 2015).
Dans le cadre de notre recherche, le concept de microagression raciale proposé par la Critical Race Theory a été retenu. Les microagressions comprennent toutes les formes de racisme passant inaperçues dans les interactions quotidiennes. Elles ne sont pas directes et ont généralement un aspect insaisissable, ordinaire et banal (Delgado et Stefancic, 2000). Contrairement aux manifestations flagrantes du racisme, les microagressions se manifestent de façon subtile dans les activités ordinaires et routinières. Elles ne sont pas souvent remises en question (Chapman, Dixson, Gillborn et Ladson-Billings, 2013). Par effet de cumul, elles peuvent contribuer à la marginalisation et à l’exclusion sociale.
Une méthodologie axée sur les points de vue des groupes racisés et le désir de justice raciale
Nous avons recueilli la voix d’étudiantes et étudiants afin de mieux comprendre comment le racisme s’opère à travers les interactions quotidiennes et les pratiques institutionnelles. L’analyse des entretiens qualitatifs a d’abord mené à l’identification de discours au sujet de rapports sociaux de race à l’université et de récits de microagressions vécues. Ces constats de recherche nous ont par la suite permis de réfléchir à des pistes d’action susceptibles d’améliorer l’équité et la justice raciale en enseignement supérieur.
Les étudiantes et étudiants rapportent une frontière entre les Blanches / Blancs et les autres, ainsi que des situations de microagressions.
Nos données révèlent des rapports sociaux de race inégaux dans le quotidien et dans les pratiques des établissements universitaires. Les étudiantes et étudiants que nous avons rencontrés soulignent l’existence d’une frontière liée à des rapports de pouvoir entre celles et ceux qu’ils nomment les « Blancs / Blanches » et les autres. On relate des situations de microagressions, paraissant normales ou banales pour le groupe majoritaire. Ces situations prennent souvent la forme de l’humour, ramenant « les autres » constamment à leur différence et leur positionnement social vis-à-vis des rapports de pouvoir considérés comme infériorisant. Ces microagressions contribuent au sentiment d’aliénation ressenti par ces étudiantes et étudiants. Par exemple, Tiam (parents nés en Haïti) exprime avoir vécu ces microagressions dans les interactions avec le corps enseignant :
Le prof dit : « Moi dans la rue, je changerais de trottoir ». Il disait ça en niaisant… tu sais des petites blagues : « Tu es toujours habillé tout en noir, est-ce que tu planifies un coup ou quelque chose ? ».
La blague fonctionne ici comme un outil renforçant les stéréotypes à propos des personnes noires répandus dans les médias au Québec (Thésée et Carr, 2016). Cet exemple démontre que le personnel universitaire issu du groupe majoritaire peut renforcer la perception de la « Blackness / Whiteness » pour l’ensemble de la population étudiante.
Les étudiantes et étudiants disent avoir de la difficulté à développer un sentiment d’appartenance à l’université, en l’absence de modèle leur ressemblant.
Les étudiantes et étudiants perçoivent également ces frontières entre « Blancs » et groupes racisés sur le plan institutionnel : dans le choix du personnel embauché, dans l’image de l’établissement blanchisé, dans les documents promotionnels, dans le curriculum (formel et caché) ethnocentrique et dans la vie étudiante. Ainsi, plusieurs ont souligné le fait que la majorité du personnel enseignant s’avère blanc ou issu du groupe majoritaire. Ils disent avoir de la difficulté à développer un sentiment d’appartenance à l’université, en l’absence de modèle leur ressemblant. On mentionne aussi ne pas se sentir représentés ni inclus dans la vie étudiante.
À travers les discours d’étudiantes et étudiants noirs que nous avons analysés se tisse une toile des rapports sociaux de race à l’université à divers niveaux institutionnels. Ces récits soulèvent une asymétrie perçue des rapports de pouvoir entre les groupes.
Le personnel et les étudiantes et étudiants blancs dans les universités devraient être sujets de davantage de conscientisation et de formation sur les discriminations raciales et les microagressions.
Les enjeux de discriminations et de microagressions sont bien souvent invisibilisés à la fois dans la communauté universitaire et dans la société québécoise de manière générale. Plus encore, le legs d’un passé colonial marqué par une suprématie blanche s’avère encore bien présent. Ainsi, des formations devraient être obligatoires en milieu universitaire, et ce, afin de tendre davantage vers la justice raciale.
Les universités devraient transmettre un savoir-être lié à l’inclusion et à la justice sociale à travers la pédagogie universitaire et le curriculum afin d’éviter de reproduire de manière inconsciente une idéologie dominante blanche.
Nos résultats invitent à réfléchir au rôle de l’Université et à ses pratiques, ainsi qu’à son curriculum officiel et caché. Ces résultats permettent de creuser au-delà des politiques et discours universitaires, qui, pour la plupart, valorisent formellement l’équité, la diversité et l’inclusion. Les propos recueillis des étudiantes et étudiants permettent de s’interroger sur le rôle de l’Université dans la déconstruction des rapports de pouvoir et des rapports sociaux de race au Québec.
Dans un contexte de massification de l’enseignement supérieur, ces entretiens demandent de considérer le rôle de l’Université dans la transmission d’un savoir-être lié à l’inclusion et à la justice sociale à travers la pédagogie universitaire et le curriculum afin d’éviter de reproduire de manière inconsciente une idéologie dominante blanche (Bailey, 2015). Cette parole étudiante appelle à la décolonisation des universités, tant dans ses catégories, ses politiques, que dans son curriculum formel et réel; dans sa culture institutionnelle, dans la diversification des embauches de son personnel et dans son recrutement étudiant (voir la Figure 1). Une des premières propositions d’action, mise à part l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L. C., 1995), pourrait notamment être de rendre obligatoire des formations EDI destinées aux équipes de direction et aux services des ressources humaines, afin de sensibiliser, conscientiser et favoriser l’agir institutionnel vis-à-vis des rapports sociaux de race dans les universités québécoises.
Collins, T. et Magnan, M.-O. (2018). Postsecondary Pathways among Second-Generation Immigrant Youth of Haitian Origin in Quebec. Canadian Journal of Education, 41(2), 413-440.
Magnan, M.-O., Collins, T., Darchinian, F., Kamanzi, P. C. et Valade, V. (2021). Student voices on social relations of race in Québec Universities. Race Ethnicity and Education.
Valade, V. (2021). Parcours d’étudiants racisés à l’université au Québec: le cas d’étudiants montréalais d’origine haïtienne [mémoire de maîtrise, Université de Montréal].
Bailey, K. A. (2015). Racism within the Canadian university: Indigenous students’ experiences. Ethnic and Racial Studies, 39(7), 1261-1279.
Bhopal, K. (2017). Addressing racial inequalities in higher education: Equity, inclusion and social justice. Ethnic and Racial Studies, 40(13), 2293-2299.
Chapman, T. K., Dixson, A. D., Gillborn, D. et Ladson-Billings, G. (2013). Critical Race Theory. Dans B. J. Irby, G. H. Brown, R. Lara-Alecio et S. Jackson (dir.), The Handbook of Educational Theories (p. 1019‑1026). Information Age Publishing Inc.
Dei, G. S. et Kempf, A. (2013). New Perspectives on African-Centred Education in Canada. Canadian Scholars’ Press.
Delgado, R. et Stefancic, J. (2000). Critical Race Theory: The Cutting Edge (2e éd.). Temple University Press.
Gillborn, D., Rollock, N., Vincent, C. et Ball, S. J. (2012). ‘You got a pass, so what more do you want?’: race, class and gender intersections in the educational experiences of the Black middle class. Race Ethnicity and Education, 15(1), 121-139.
Mc Andrew, M., Alhassane, B., Bakhshaei, M., Tardif-Grenier, K., Audet, G., Armand, F., Guyon S., Ledent, J., Lemieux, G., Potvin, M., Rahm, J., Vatz-Laaroussi, M., Carpentier, A. et Rousseau, C. (2015). La réussite éducative des élèves issus de l’immigration : dix ans de recherche et d’intervention au Québec. Presses de l’Université de Montréal.
Thésée, G. et Carr, P. (2016). Les mots pour le dire : acculturation ou racialisation? Les théories antiracistes critiques (TARC) dans l’étude de l’expérience scolaire de jeunes NoirEs du Canada en contextes francophones. Comparative and International Education / Éducation Comparée et Internationale, 45(1), 1-17.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay
Révision linguistique : Sandrine Bourget-Lapointe
Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.
À propos de l'autrice
Marie-Odile Magnan
Professeure titulaire au Département d’administration et fondements de l’éducation de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire en relations ethniques
Université de Montréal
Marie-Odile Magnan est professeure titulaire au Département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal. Elle est titulaire de la Chaire en relations ethniques et directrice de l’équipe FRQSC Inclusion et diversité ethnoculturelle en éducation. Ses recherches portent sur les politiques et pratiques d’équité et de justice sociale du personnel dans les institutions éducatives ainsi que sur les inégalités scolaires du primaire jusqu’au postsecondaire telles que vécues par les jeunes. Elle est répondante Équité, Diversité, Inclusion pour la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal depuis 2020.