La question de la langue en enseignement supérieur est souvent considérée comme étant à la charge exclusive des enseignant·es de français. Or, les compétences langagières sont sollicitées dans toutes les disciplines (Bédard et Lamontagne, 2020) et chez plusieurs membres d’équipes professionnelles œuvrant auprès des étudiant·es. La langue est au cœur des activités pédagogiques des enseignant·es (consignes à interpréter, travaux à rédiger, problèmes à résoudre, textes à lire, à synthétiser, etc.) (Lanctôt, 2020), de même qu’au cœur des activités quotidiennes du personnel d’aide et de soutien en français.

Les savoirs enseignés dans les différents programmes de formation générale ou spécifiques n’existent donc pas « en dehors du langage » (Boyer, 2016).

Chaque discipline, de la physique à l’informatique, en passant par l’éducation physique et le journalisme, privilégie des genres de textes, que ce soit le rapport de laboratoire, le texte argumentatif, le devis technique, l’article scientifique, la procédure, le message publicitaire, la critique de film, le reportage journalistique ou le guide touristique (Lanctôt, 2020). Les étudiant·es doivent s’approprier les caractéristiques de ces textes afin de les reproduire, et cette appropriation du concept de genre textuel – tant par les étudiant·es que par les enseignant·es – apparait fondamentale pour développer des compétences en littératie (ibid.).

Chartrand, Émery-Bruneau et Sénéchal (2015) définissent le genre textuel comme :

« un ensemble de productions langagières orales ou écrites qui, dans une culture donnée, possèdent des caractéristiques communes d’ordres communicationnel, textuel, sémantique, grammatical, graphique ou visuel et/ou d’oralité, souples mais relativement stables dans le temps » (p. 3).

À l’instar de l’approche par compétences qui encourage l’enseignant·e à mettre en contexte les apprentissages, l’approche des genres textuels vise à situer les écrits disciplinaires en présentant le texte comme un objet qui a un sens et un contexte précis (Bédard et Lamontagne, 2020, p. 32). Cette façon de faire permet de transformer des apprentissages qui peuvent être perçus par l’étudiant·e comme « inutiles » en modalités plus faciles à cerner, explicites, et donc plus sensées pour les étudiant·es (ibid.).

Le lexique disciplinaire

Les enseignant·es ont parfois tendance à sous-estimer les difficultés éprouvées par les étudiant·es pour comprendre le sens des mots, en particulier les mots spécifiques à la discipline (ibid.). L’une des clés consiste à sensibiliser les enseignant·es à accompagner les étudiant·es dans le ciblage des termes les plus importants de leur champ disciplinaire. Les enseignant·es peuvent ensuite initier les étudiant·es à un lexique de leur discipline (Boyer, 2016).

Selon Roberge et Ruest (2014), sensibiliser les enseignant·es sur les genres textuels privilégiés de leur discipline de même que sur le lexique des notions les plus couramment utilisées permet de formuler tout haut des éléments de base depuis longtemps intégrés dans leur enseignement. L’exercice peut permettre de clarifier leurs exigences, de nommer explicitement leurs attentes, de raffiner leurs critères d’évaluation et de reformuler leurs consignes (ibid.).

L’accompagnement des enseignant·es par une personne qui maitrise bien le concept de genre textuel s’avère profitable : plus que le perfectionnement professionnel en soi, c’est l’expérience d’une mise en œuvre réussie qui modifie durablement les conceptions pédagogiques des enseignant·es et qui les pousse à ajuster leur pratique (Lanctôt, 2020).

En fonction des défis vécus en classe, l’enseignant·e peut revisiter son matériel pédagogique en rédigeant un guide d’accompagnement ou en ajustant une grille d’évaluation pour en faire une grille de révision à l’intention de l’étudiant·e, par exemple (Lanctôt, 2020). De nouvelles activités pédagogiques peuvent être créées afin de montrer aux étudiant·es le processus de rédaction d’un type d’écrit (ibid.).

Une responsabilité partagée

Selon le récent rapport de la Fédération des cégeps (2021), soutenir l’amélioration du français chez les étudiant·es devrait être une responsabilité partagée par la communauté collégiale. Au-delà de l’enseignement de français et littérature, l’action des enseignant·es des autres disciplines, notamment en formation spécifique, est cruciale (ibid.).

L’exemple du Collège de Rosemont, engagé dans un processus d’actions concertées visant à favoriser le développement des compétences langagières dans les disciplines, est éclairant à plusieurs égards. D’abord, le dossier a été classé comme prioritaire dans le plan stratégique de l’établissement (Bédard et Lamontagne, 2020). L’objectif de « sortir la langue du département de français » vise à sensibiliser l’ensemble du corps enseignant au fait que seul·es les enseignant·es d’une discipline peuvent enseigner le langage disciplinaire et ses formes spécifiques, mais que la valorisation de la langue constitue une responsabilité partagée (ibid.). L’accent est mis sur la dimension fédératrice du français : peu importe la discipline, la base de la communication du savoir sera toujours la langue (ibid.).

Comment impliquer les enseignant·es sans alourdir leur tâche ?

Afin d’initier ses étudiant·es aux pratiques langagières propres à leurs disciplines, Lucie Libersan (Collège Ahuntsic), en collaboration avec le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD), a réalisé une série de dix fascicules sur les principaux genres de textes en usage dans les cours du réseau collégial qui comportent des éléments théoriques ainsi que des exercices.

Boyer, 2016

Le Consortium régional de recherche en éducation du Saguenay–Lac-Saint-Jean (CRRE) et le Cégep de Chicoutimi proposent quant à eux des exemples d’outils adaptés à la réalité de deux programmes techniques : Soins infirmiers et Technologie forestière (Gosselin, Laberge, Laprise, Pulido et Tremblay, 2019). Les responsables du projet ont réalisé un guide visant à aider les étudiant·es en Soins infirmiers à répondre adéquatement à des questions d’examen, de même qu’un guide de rédaction de rapport s’adressant aux étudiant·es en Technologie forestière (ibid.).

Des retombées positives

Des avantages de l’approche par genres textuels ont été constatés chez les enseignant·es, notamment :

  • un grand sentiment d’efficacité sur les plans didactique et pédagogique;
  • une correction des évaluations plus agréable et plus rapide, car les apprentissages sont mieux intégrés, comme en témoigne la qualité des travaux;
  • un plus grand sentiment de compétence quant à la littératie de leur discipline;
  • une plus grande motivation et un éclairage sur leur responsabilité par rapport à la langue (Bédard et Lamontagne, 2020).

Enfin, du côté des étudiant·es, l’approche par genres textuels permet de les inciter à mieux réfléchir et à organiser plus efficacement leur pensée, ce qui sera utile dans une grande diversité de contextes (ibid.) – de la poursuite de leurs études à leur insertion socioprofessionnelle sur le marché du travail (CAPRES, 2021).