Souvent évoquée dans les écrits portant sur l’insertion socioprofessionnelle, la surqualification fait référence à la situation d’une personne diplômée détenant un niveau de qualification qui dépasse ce qui est attendu dans le cadre de l’emploi occupé (Cornelissen, 2019). Il s’agit d’une forme de sous-utilisation des qualifications acquises pendant les études postsecondaires (Vultur, 2012). Avant de mesurer le phénomène et de présenter le profil des diplômé·es touché·es, quelques précisions sur ses déterminants peuvent éclairer sa compréhension.

Un phénomène multifactoriel

Dans le cadre du rapport Les réussites, les enjeux et les défis en matière de formation universitaire au Québec, le Conseil supérieur de l’éducation (2019) a consulté des acteurs·trices du monde de l’enseignement supérieur au sujet de la surqualification. Selon les personnes interrogées, le phénomène de la surqualification découlerait en partie d’une vision de la formation en tant que stricte préparation à l’emploi. Or, les cheminements en enseignement supérieur ne devraient pas être vus comme une entrave à l’emploi, mais plutôt comme un avantage (ibid.).

Vultur et Bélanger (2014) montrent que le phénomène de surqualification est lié, entre autres, à la perception que les diplômé·es ont de leur formation, de la nature de leur emploi et de leurs conditions de travail. Le « sentiment de surqualification » peut donc être indépendant des circonstances objectives; dans une situation, certain·es diplômé·es peuvent se sentir surqualifié·es, tandis que d’autres non (ibid.).

La perception est un élément important à considérer dans l’analyse du phénomène de la surqualification. Lamarre et Moulin (2014) montrent que le sentiment de surqualifi­cation est moins influencé par le niveau de formation que par le lien entre l’emploi et le domaine d’études de même que par le degré d’utilisation de certaines compétences dans le cadre de l’emploi.

cités dans Conseil supérieur de l’éducation, 2019
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Une multiplicité de facteurs se trouve à la source du phénomène de la surqualification : le temps écoulé depuis l’obtention du diplôme, le domaine d’études de la personne diplômée, mais aussi ses aspirations et les choix personnels qui dépendent d’obligations familiales ou de contraintes géographiques, les réorientations de carrière, les pratiques de recrutement des employeur·euses, les modes d’organisation du travail, etc. (ibid.).

L’âge constituerait aussi un déterminant : la surqualification toucherait davantage les individus qui ont obtenu leur diplôme récemment ou qui sont jeunes (Boudarbat et Montmarquette, 2017; Uppal et LaRochelle-Côté, 2014).

Cette tendance refléterait le caractère transitoire de la surqualifica­tion et son lien avec l’insertion socioprofessionnelle : l’emploi occupé permettrait d’acquérir une expérience susceptible de favoriser l’obtention ultérieure d’un meilleur emploi (Conseil supérieur de l’éducation, 2019).

Quant aux programmes d’études, Boudarbat et Montmarquette (2017), auteurs d’une recherche du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), présentaient les grands domaines où les taux de surqualification sont les plus élevés au Québec :

  • Arts libéraux et sciences, études générales et lettres et sciences (55,9 %);
  • Études multidisciplinaires, interdisciplinaires (45,9 %);
  • Sciences sociales (44,6 %);
  • Histoire (44,2 %);
  • Études régionales, ethniques et culturelles et études comparatives selon le genre (43 %).

Les domaines suivants affichaient quant à eux les taux de surqualification les moins élevés :

  • Programmes de résidence en médecine, en médecine dentaire et en médecine vétérinaire (10,6 %);
  • Santé et sciences cliniques connexes (17,1 %);
  • Informatique, sciences de l’information et services de soutien connexe (18,8 %);
  • Éducation (19,1 %);
  • Technologue, technicien en génie (19,9 %).

Le deuxième groupe de domaines d’études se concentre sur l’enseignement de compétences liées à des professions spécifiques, ce qui favorise l’accès à un emploi qui correspond aux études.

Boudarbat et Montmarquette, 2017

Dans une recherche de Statistique Canada, Uppal et LaRochelle-Côté (2014) ont pour leur part constaté qu’environ 12 % des titulaires d’un diplôme universitaire au Canada — indépendamment du domaine d’études — déclarent occuper un emploi qui n’exige qu’un diplôme d’études secondaires. Près d’un·e diplômé·e universitaire sur cinq (19 %) a déclaré que son emploi nécessitait un diplôme d’études collégiales (ibid.).

La surqualification entrainerait des répercussions importantes sur la satisfaction au travail : environ 13 % des diplômé·es universitaires surqualifié·es interrogé·es se déclarent insatisfait·es, contre seulement 3 % des personnes qualifiées pour un poste de niveau universitaire (ibid.).

La reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger

Parmi les facteurs qui exerceraient une grande influence sur la surqualification, le statut d’immigrant·e en serait un particulièrement déterminant. En effet, le phénomène toucherait davantage les personnes immigrantes que celles nées ici et l’écart serait particulièrement élevé entre les diplômé·es universitaires de ces deux groupes (Boudarbat et Montmarquette, 2017).

Selon les données tirées du recensement de 2016 au Québec analysées par Vultur (2021), le taux de surqualification des personnes immigrantes détenant un diplôme universitaire était de 41,4 %, un taux supérieur à celui des diplômé·es universitaires non immigrant·es (29,8 %). Le taux de surqualification des personnes immigrantes titulaires d’un diplôme universitaire a augmenté de 2001 à 2016 pour l’ensemble des groupes minoritaires (ibid.).

Une importante proportion de personnes immigrantes est également touchée par la surqualification majeure, soit le fait qu’un·e titulaire de diplôme universitaire détienne un emploi requérant un niveau d’études secondaires.

Vultur, 2021

Étant donné que le lieu d’études (au Canada ou à l’extérieur) constitue une variable importante qui explique les écarts dans les taux de surqualification, la question de la non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger devient cruciale (ibid.).

Ce sont les ordres professionnels qui s’occupent du processus de reconnaissance des diplômes délivrés à l’extérieur du Canada. De nombreuses recherches ont toutefois montré qu’il s’agit d’une démarche ardue (Braham et Homsy, 2021) pouvant parfois être un obstacle à l’intégration des personnes immigrantes. La complexité du processus de reconnaissance peut aussi aggraver des situations de pénurie de main-d’œuvre, par exemple dans le domaine de la santé ou de l’enseignement[1].

Favoriser l’insertion socioprofessionnelle des diplômé·es immigrant·es

Pour réduire cette complexité, les ordres professionnels pourraient revoir les mécanismes mis en place, favoriser la transparence des démarches et amorcer le processus de reconnaissance dès le recrutement des personnes immigrantes (ibid.).

Vultur (2021) suggère également des mécanismes plus souples et plus rapides de reconnaissance des diplômes et des qualifications acquises. Toutefois, ces mécanismes seraient vains si les employeur·euses ne sont pas sensibilisé·es de manière plus profonde aux obstacles rencontrés par les personnes immigrantes lors de leur insertion professionnelle, notamment leur usage de pratiques parfois discriminatoires.


[1] Le fait que ce processus de reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger soit complexe incite plusieurs diplômé·es à refaire une formation postsecondaire une fois au Québec : environ 40 % d’entre eux retournent aux études après l’obtention de la résidence permanente canadienne (Vultur, 2021).