Au Québec, plusieurs approches et courants liés à l’éducation inclusive se sont développés ces vingt dernières années (Potvin, 2014). Ces approches visaient d’abord à répondre aux besoins des étudiantes et des étudiants en situation de handicap, pour ensuite tenir compte des profils diversifiés de la population étudiante fréquentant les collèges et les universités.

Au Québec, l’intérêt pour l’éducation inclusive s’est manifesté par l’engouement pour la « conception universelle d’apprentissage » (CUA), modèle né dans les années 1990 et qui évolue selon les résultats scientifiques et les réalités de la société (CAPRES, 2015; Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap – CRISPESH, 2021). L’expression « éducation inclusive », privilégiée ici par rapport à celle de « pédagogie inclusive », met l’accent à la fois sur ce qui se passe en classe et en dehors de la classe, que ce soit en ce qui a trait aux mesures d’aide à l’apprentissage ou encore au niveau du cheminement scolaire.

Par-delà leurs différences, ces approches et ces courants partagent une vision inclusive de l’éducation et visent la réalisation du potentiel de chaque personne en tenant compte de ses expériences et de ses réalités (Potvin, 2014).

L’Organisation des Nations Unies (ONU) définit ainsi l’éducation inclusive de manière large comme :

« un processus de réformes systémiques comportant des changements et des modifications au contenu, des méthodes d’enseignement, des approches, des structures et des stratégies en éducation visant à surmonter les obstacles [à la réussite]. »

Comité sur le droit des personnes en situation de handicap de l’ONU, 2018, dans Pechard et Dion, 2019.

L’éducation inclusive peut être vue comme une réponse aux traitements discriminatoires interdits dans les deux Chartes — canadienne et québécoise — des droits et libertés (ibid.).

Adopter une approche inclusive en éducation, c’est donc valoriser la diversité et contribuer à lever les obstacles à l’apprentissage afin de soutenir la réussite de tous et toutes (Fortier et Bergeron, 2016).

L’éducation inclusive ou l’EDI dans la classe

Les méthodes d’enseignement traditionnelles ont été conçues pour un « étudiant type » au parcours linéaire. Une approche inclusive de l’éducation permet de les adapter à l’ensemble de la population étudiante, sans pour autant diminuer le niveau des compétences à développer (Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap – CRISPESH, 2021). L’adoption de pratiques inclusives en classe a donc pour but de permettre à chaque personne étudiante d’avoir les mêmes chances de réussite (Pechard, dans Caza, 2019), sans toutefois faire de compromis sur le niveau d’exigences requises.

Les pratiques inclusives sont dites universelles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas des solutions adaptées à chaque cas particulier, mais plutôt une redéfinition de la norme pour répondre à la diversité des profils étudiants (Lorite Escorihuelaz, dans Caza, 2019).

Les finalités suivantes sont associées à l’éducation inclusive :

  • La mise en place de pratiques équitables – plutôt qu’égales ou identiques pour tout le monde – afin de favoriser la réussite de tous et toutes ;
  • La reconnaissance des différences, notamment dans le contenu pédagogique, en vue d’effectuer des transformations institutionnelles visant la justice et la lutte aux discriminations (Magnan et al., 2021).

Voici quelques exemples d’initiatives permettant au corps enseignant et professoral de développer leurs compétences quant à l’éducation inclusive :

  • Au niveau collégial, le Profil de compétences enseignantes développé au Cégep de l’Outaouais comprend une compétence intitulée Reconnaitre (Doutreloux et al., 2020). Celle-ci vise le développement de gestes professionnels mettant de l’avant les principes de l’EDI ainsi que l’adoption de pratiques inclusives qui préparent au vivre-ensemble et qui tiennent compte des expériences et des réalités ethnoculturelles, religieuses, linguistiques ou migratoires des diverses populations étudiantes, particulièrement celles marginalisées.
  • Au niveau universitaire, l’équipe de travail du Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique du réseau de l’Université du Québec (GRIIP-UQ, s. d.) a réalisé un module portant sur l’éducation inclusive dans le cadre de l’outil d’autoformation Enseigner à l’université. On y retrouve, entre autres, une liste de vérification pour l’adoption de pratiques d’enseignement inclusives dans les classes universitaires.
  • Le Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH) mène actuellement un projet visant à favoriser l’autonomie du corps enseignant en contexte de diversité grâce à l’appropriation d’une posture réflexive et métacognitive de l’inclusion au collégial (Russbach et Morin, 2022).
  • Les Centres collégiaux de soutien à l’intégration (CCSI) offrent, entre autres, un service-conseil en vue de « soutenir le développement de l’autonomie et l’harmonisation des pratiques des établissements du réseau collégial public et privé subventionné dans l’accueil, l’organisation et la prestation des services [à la population étudiante] en situation de handicap » (Centres collégiaux de soutien à l’intégration – CCSI, s. d.).

Valoriser des modèles diversifiés

Les étudiantes et les étudiants des groupes marginalisés ont tendance à avoir plus de succès à l’université lorsque le corps professoral et les autres sources de modèles signifiants sont diversifiés (Universités Canada, 2019). La présence de modèles diversifiés, incluant idéalement des modèles qui lui ressemble, permet à la personne étudiante de :

  • Répondre à son besoin de sécurité et de développer son estime de soi (Potvin, 2018) ;
  • D’être exposée à des modèles autres que ceux de sa famille dans le cas d’une personne étudiante issue d’un milieu faiblement scolarisé (Aubin-Horth, 2021) ;
  • De naviguer avec davantage de confiance à l’intérieur du système d’éducation sans le poids d’un déterminant social (ibid.) ;
  • De renforcer sa capacité à mieux composer avec un éventuel « choc culturel » et ainsi mieux réussir son intégration dans le système d’enseignement supérieur (ibid.) ;
  • D’accroitre son autonomie et la confiance en ses capacités à planifier et à réaliser un projet d’études à la hauteur de ses aspirations et de ses talents (ibid.).

La présence de modèles diversifiés est particulièrement importante en classe, puisque la majorité de l’expérience étudiante s’y déroule. La personne enseignante peut jouer un rôle de différentes manières, qui constituent autant de leviers d’action visant à ce que l’ensemble de la population étudiante se sente incluse, représentée et reconnue dans la classe :

  • En constituant elle-même un « modèle significatif » (Aubin-Horth, 2021) pour des populations étudiantes marginalisées, notamment en racontant son propre parcours et les obstacles qu’elle y a rencontrés ;
  • En augmentant la visibilité des modèles diversifiés dans les contenus pédagogiques présentés ;
  • En privilégiant une communication inclusive (Université du Québec, 2021) ;
  • En sélectionnant des sources produites par des personnes faisant partie de groupes sous-représentés ;
  • En invitant des personnes issues de groupes minorisés dans la classe pour favoriser les échanges et les points de vue ;
  • En travaillant de manière interdisciplinaire en communauté de pratique afin de partager les meilleures pratiques, etc.

Vidéo. L’importance des modèles signifiants

Tiré de Projet interordres sur l’accès et la persévérance aux études supérieures (2021).

À cet égard, l’approche-programme — soit une vision globale du programme d’études et une cohérence entre les apprentissages et les compétences — peut constituer un point d’ancrage à partir duquel une culture de l’EDI se déploie. En effet, l’approche-programme permet aux membres du corps enseignant d’un même programme de travailler de concert pour s’adapter aux différents besoins de la population étudiante (Centre de pédagogie universitaire de l’Université de Montréal, s. d.). Connue surtout dans le milieu collégial, l’approche-programme a fait aussi l’objet du projet MAPES (Modélisation de l’approche-programme en enseignement supérieur), réalisé par des équipes de recherche et d’intervention pédagogique du réseau de l’Université du Québec (Projet MAPES, 2014).

De l’intégration à l’inclusion : le modèle de réponse à l’intervention (RAI)

L’éducation inclusive embrasse également ce qui se passe « autour de la classe », comme les mesures et les services d’aide à l’apprentissage. Afin de soutenir la réussite étudiante, ces services se sont longtemps appuyés sur une perspective intégrative, issue du modèle médical, qui tend peu à peu à être remplacée par une perspective inclusive, issue du modèle social (Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap – CRISPESH, s. d.).  

La vision intégrative est axée sur les déficiences de l’individu, ses incapacités et sa nécessaire réadaptation par l’intégration. La vision inclusive met plutôt l’accent sur le rôle de l’environnement dans la construction des différences, notamment du handicap (ibid.).  Elle considère la diversité comme un fait social dont il faut tenir compte en amont de toute pratique visant l’équité. Ce changement de la perspective intégrative à la perspective inclusive est d’ailleurs lié à l’introduction de la notion de « neurodiversité », qui invite à poser un regard différent sur la norme en présentant différents modes de fonctionnement cognitif ou neurologique (ibid.).

Ce passage de la vision intégrative à la vision inclusive implique une réorganisation des services d’aide à l’apprentissage afin qu’ils tiennent compte de la diversité des personnes et des parcours étudiants de manière globale. Pour ce faire, il est possible de s’appuyer sur le modèle RAI, qui convient à tous les ordres d’enseignement (Bissonnette, 2020).

Titre de l’image : Système d'intervention à trois niveaux inspiré du modèle de réponse à l'intervention (RAI)
Il s'agit d'une pyramide divisée en trois sections.
La section du bas représente 80% pour les interventions universelles qui consistent en déployer des pratiques pédagogiques inclusives pour répondre aux besoins diversifiés des étudiantes et des étudiants.
La section du centre représente une proportion de 15% et est pour les interventions ciblées qui consistent à déployer des services, ressources et mesures d'aide pour répondre aux besoins d'un groupe d'étudiantes ou d'étudiants ayant de plus grands enjeux de réussite.
La section du haut représente 5% et est pour les interventions personnalisées qui consistent en déployer des services spécialisés sur une base individuelle, personnalisée et soutenue.
L'image est adaptée de Lapointe (2022).

Le principal avantage de ce modèle est de permettre des interventions ciblées de même que des références rapides aux services selon des besoins précis identifiés (Lapointe, 2022), notamment pour les personnes étudiantes rencontrant des obstacles dans leur apprentissage. Le défi de ce modèle réside dans le nécessaire travail de collaboration et de concertation des personnes intervenantes de l’établissement : corps enseignant, personnel professionnel et population étudiante.

Pistes d’action pour promouvoir l’éducation inclusive

Sur le plan de l’enseignement et des services d’aide à l’apprentissage

  • Conscientiser le corps enseignant et professionnel, en particulier les personnes issues de groupes minorisés, sur son pouvoir d’impact en tant que modèles signifiants (Aubin-Horth, 2021). Les façons de le faire sont multiples : partager son histoire et son parcours d’études, nommer les obstacles rencontrés et les défis relevés, etc.
  • Favoriser la représentation de la diversité dans les contenus pédagogiques (Lafortune, 2020), notamment en proposant des ressources réalisées par des personnes issues de groupes marginalisés ou des conférences dans lesquelles les personnes invitées ont un parcours non traditionnel, par exemple.
  • Soutenir des initiatives de mentorat pour et par les populations étudiantes minorisées, afin d’offrir des espaces de développement du lien social et des sources de modèles sans relation hiérarchique.
  • Privilégier différents types d’évaluations et accepter la remise de travaux sous plusieurs formes (Doutreloux et Auclair, 2021), et ce, pour toute la classe et pas seulement pour ceux et celles ayant des besoins particuliers.
  • Offrir à la population étudiante un espace de partage (virtuel ou non) de ses réflexions sur l’intégration de l’EDI en classe (Hartwell et al., 2017).
  • Proposer aux étudiantes et aux étudiants des occasions de revenir sur leurs expériences en tant que membre d’un groupe marginalisé, en particulier lorsque le processus d’apprentissage est introspectif et exige une certaine vulnérabilité (ibid.).
  • Constituer des équipes de travail de manière à rassembler des individus aux opinions différentes, tout en établissant des règles de civilité pour ces échanges virtuels ou en présence.
  • Organiser les services d’aide à l’apprentissage dans une perspective inclusive, en s’appuyant notamment sur le modèle RAI fondé sur la collaboration et la concertation de l’ensemble des personnes intervenantes (corps enseignant, personnel professionnel et population étudiante) (Bissonnette, 2020; Lapointe, 2022).

Sur le plan de la gouvernance

  • Poursuivre la formation du corps enseignant sur les concepts fondamentaux de l’éducation inclusive (Russbach et Morin, 2022).
  • Reconnaitre et valoriser les efforts du personnel déjà engagé dans le développement d’une culture de l’inclusion (travail de représentation au sein d’un comité, mentorat, etc.) et éviter de sursolliciter des personnes membres des groupes minorisés.
  • Inclure l’application de pratiques inclusives au sein des profils de compétences enseignantes (Doutreloux et al., 2020).
  • Se doter de lignes directrices sur la communication inclusive et offrir de la formation sur ses bonnes pratiques (Université du Québec, 2021).

Références

Aubin-Horth, S. (2021). Devenir un modèle signifiant auprès des élèves et des étudiants issus de milieux à faible capital scolaire et socioéconomique du primaire à l’université. Projet interordres sur l’accès et la persévérance aux études supérieures. Université du Québec.

Bissonnette, S. (2020). Le modèle de réponse à l’intervention (RAI) [vidéo]. J’enseigne à distance. Université TÉLUQ.

CAPRES (2015). La conception universelle de l’apprentissage – CUA.

Caza, P.-É. (2019, 18 mars). L’éducation inclusive. Actualités UQAM.

Centre de pédagogie universitaire de l’Université de Montréal (s. d.). Approche-programme.

Centres collégiaux de soutien à l’intégration (CCSI) (s. d.). À propos.

Cotton, J.-C., Martin-Storey, A. et Beauchesne Lévesque, S. (2019, 11 décembre). Un petit pas dans une université, un grand pas pour l’humanité. Affaires universitaires.

Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH) (2021). Contexte. CRISPESH – UDL@Dawson. Symposium virtuel 2021.

Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH) (s.d.). Les applications pédagogiques de la conception universelle de l’apprentissage.

Doutreloux, E. et Auclair, A. (2021). Rapport d’enquête sur l’expérience étudiante en lien avec l’équité, la diversité et l‘inclusion. Service de recherche et de développement pédagogique du Cégep de l’Outaouais.

Doutreloux, E., Lapointe, K. et Vaudrin-Charrette, J. (2020). Un outil de professionnalisation évolutif. Pédagogie collégiale, 33(4), 4‑10.

Fortier, M.-P. et Bergeron, G. (2016). Éducation inclusive : repères pour la pratique à l’université. Le Tableau, 5(3).

Hartwell, E. E., Cole, K., Donovan, S. K., Greene, R. L., Burrell Storms, S. L. et Williams, T. (2017). Breaking Down Silos: Teaching for Equity, Diversity, and Inclusion Across Disciplines. Humboldt Journal of Social Relations, 1(39), 143‑162.

Lafortune, G. (2020). De l’inclusion et de la réussite au collégial : « Au fond, vous voulez savoir ce que ça veut dire d’être Noir.e au cégep ». Les Cahiers de l’IRIPI, no 3, 7-12.

Lapointe, P. (2022, 24 février). Connaître et accompagner les étudiantes et les étudiants à besoins particuliers pour faciliter leur transition du secondaire au collégial [communication orale]. Journée-conférences portant sur la transition du secondaire au collégial des élèves EHDAA. Ministère de l’Éducation et le ministère de l’Enseignement supérieur.

Magnan, M.-O., Gosselin-Gagné, J., Audet, G. et Conus, X. (2021). Édito – L’éducation inclusive en contexte de diversité ethnoculturelle : comprendre les processus d’exclusion pour agir sur le terrain de l’école. Recherches en éducation, 44.

Pechard, C. et Dion, M.-C. (2019, 16 octobre). Adopter des pratiques pédagogiques inclusives : pourquoi et comment? [webinaire]. Groupe d’intervention et d’innovation pédagogique, Université du Québec, QC.

Potvin, M. (2018). Pour des milieux éducatifs inclusifs, démocratiques et antidiscriminatoires : éléments conceptuels et pistes pour une démarche institutionnelle. Observatoire sur la formation à la diversité et l’équité, UQAM.

Potvin, M. (2014). Diversité ethnique et éducation inclusive : fondements et perspectives. Éducation et sociétés, 33(1), 185‑202.

Projet interordres sur l’accès et la persévérance aux études supérieures (2021, 10 mai). L’importance des modèles signifiants auprès des jeunes plus vulnérables du primaire à l’université [vidéo]. YouTube.

Projet MAPES (2014). Approche-programme (MAPES). Pédagogie universitaire. Réseau de l’Université du Québec.

Russbach, L. et Morin, C. (2022, 11 mai). En amont des pratiques pédagogiques en enseignement supérieur : une recherche-développement pour favoriser une posture enseignante en cohérence avec l’éducation inclusive [communication orale]. 89e congrès de l’Acfas, Québec, QC.

Université du Québec (2021).Guide de communication inclusive. Pour des communications qui mobilisent, transforment et ont du style ! Université du Québec.

Universités Canada (2019). Équité, diversité, et inclusion dans les universités canadiennes : Rapport sur le sondage de 2019. Universités Canada.