Une vision de la réussite axée sur la performance peut contribuer au développement de stratégies d’adaptation particulières, dont la consommation de psychostimulants (voir la fiche Enjeu « Réussir » avec les amplificateurs cognitifs). Les étudiants qui en consomment perçoivent que les exigences sont de plus en plus élevées pour réussir ses études et que la charge de travail associée aux études est exagérée, « voire ingérable » (Thoër et Robitaille, 2011). Certains estiment que le fait de performer dans plusieurs sphères de vie et activités (scolaire, sportive, sociale, etc.) relève d’un choix personnel (Van Caloen, 2004), d’une adhésion à un style de vie actif (Forlini et Racine, 2009).

Ces constats d’étudiants qui consomment des psychostimulants à propos du milieu dans lequel ils évoluent peuvent constituer une porte d’entrée pour entamer une réflexion sur la façon de concevoir la réussite d’un projet d’études.

La réussite, un mérite individuel ?

Une certaine conception de la réussite repose sur la notion de mérite : il suffirait d’exercer sa volonté, de faire des efforts pour réussir, indépendamment des ressources et stratégies acquises pour concilier les multiples rôles de vie (étudiant, travailleur, parent, etc.), ou des inégalités sociales et économiques de départ. Cette vision renvoie chacun à la responsabilité pleine et entière de ses échecs ou de ses réussites (Raynal, 2008).

Or, il est documenté que si les efforts individuels sont effectivement une composante importante de la réussite, les facteurs familiaux, éducatifs et sociaux sont également déterminants (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017), tel que l’illustre la figure suivante :

Les facteurs de réussite : la métaphore de l’iceberg

Cette métaphore de l’iceberg permet d’identifier les multiples déterminants de réussite, à la fois individuels, familiaux et sociaux et de montrer que plusieurs d’entre eux sont invisibles au premier abord.

Réussite : scolaire ou éducative ?

La réussite des étudiants, qui a évolué dans le temps (Chenard et Fortier, 2005), est un terme polysémique et multidimensionnel (Laferrière et al., 2011; Romainville, 2015).

La notion de réussite scolaire renvoie principalement à l’atteinte d’objectifs d’apprentissage et à la maîtrise des savoirs. Ses indicateurs mesurables sont les résultats scolaires, les crédits acquis ou encore l’obtention d’une reconnaissance des acquis par la diplomation (Michaut et Romainville, 2012). La réussite scolaire peut donc être porteuse d’une idée de rendement et de performance (CREPAS, cité dans Magazine Savoir, 2016), en vue d’atteindre des résultats mesurables.

Pour le Conseil supérieur de l’éducation, la notion de réussite peut être comprise dans son sens large, c’est-à-dire dans une perspective qui montre que :

« les étudiants réussissent chaque fois qu’ils franchissent avec succès un obstacle ou un seuil critique, qui jalonnent inéluctablement leur projet d’études, de l’étape de l’accès à l’université jusqu’à l’insertion socioprofessionnelle au terme des études ».

(CSE, 2013)

La réussite éducative s’inscrit quant à elle dans cette perspective et se définit par ses multiples dimensions : l’instruction (intégration de savoirs), la socialisation (acquisition de savoirs, valeurs, attitudes et comportements utiles au fonctionnement en société) et la qualification (préparation à l’intégration socioprofessionnelle) (Carle, 2017). La réalisation du plein potentiel et l’atteinte de buts personnels fixés par l’étudiant sont aussi des dimensions importantes de ce concept (CRÉPAS, 2018). En ce qui concerne l’éducation supérieure, il convient en effet de tenir compte non seulement du cheminement scolaire, mais aussi du projet de développement personnel et d’intégration sociale (CTREQ, cité dans Laferrière et al., 2011).

Une formation réussie amène l’étudiant à progresser considérablement à chaque étape de son parcours; à développer des habiletés cognitives, métacognitives et socioaffectives amples, solides et interconnectées, propres à une éducation supérieure; à déployer son potentiel grâce à une attitude positive à l’égard de son avenir, de son aptitude à affronter les obstacles et à atteindre les objectifs poursuivis (Vasseur, 2015).

L’avantage de cette conception de la réussite est qu’elle permet d’inclure des aspects importants du développement humain, comme l’identité citoyenne ou un cheminement vocationnel éclairé. Elle permet de dépasser la réussite strictement scolaire, qui est parfois réduite à l’obtention d’un diplôme basé sur les « performances », c’est-à-dire sur les notes comptabilisées dans un diplôme (Lapointe et Sirois, 2011).

La réussite comme processus

Alors que la réussite scolaire tend à tenir compte davantage des indicateurs mesurables de la performance, la réussite éducative découle d’une perspective plus sociologique (Michaut et Romainville, 2012) qui permet d’initier des questionnements en amont : que signifie pour l’étudiant « réussir ses études » ?

La vision de la réussite comme processus (Glasman, 2007), qui comprend des bifurcations, des échecs, des déceptions, constitue une avenue prometteuse. Selon cette perspective, la réussite n’est pas le simple opposé binaire de l’échec. Ce qui est perçu comme un échec peut s’inscrire dans un processus de réussite à long terme. L’étude de Millet (cité par Romainville, 2015) montre, par exemple, qu’au-delà de l’« échec massif » des étudiants de premier cycle universitaire, on peut y voir un temps de réorientation nécessaire dans d’autres programmes, en emploi ou autre.

La vision de la réussite comme processus (Glasman, 2007) permet aussi de miser sur le développement de diverses stratégies d’adaptation (planification et gestion du temps, stratégies d’études efficaces, mentorat, etc.). Elle permet aussi de tenir compte des inégalités de départ des étudiants (ibid.), qu’elles soient individuelles, familiales, sociales ou économiques.

Enfin, la vision de la réussite comme processus permet de réinterroger la notion et les pratiques de performance : l’idée d’un projet d’études renverrait davantage au développement individuel et social qu’à ses notes et crédits obtenus. En ce sens, changer les perceptions à la fois de la réussite et de l’échec peut s’avérer un point de départ dans la prévention et le rétablissement d’étudiants ayant des problèmes de santé mentale (voir la fiche Enjeu Les interventions en amont pour améliorer la santé mentale des étudiants collégiaux et universitaires).