Parutions
Variation linguistique en enseignement
3 mars 2022
Parutions
3 mars 2022
Dans leur article, Jutras et Drouin présentent les concepts de variation linguistique et d’insécurité linguistique, abordent le rôle des établissements d’enseignement en la matière et proposent des pistes pédagogiques pour freiner cette insécurité.
Les auteurs définissent la variation linguistique « comme le fait qu’une langue ne soit pas parlée, écrite ou mise en gestes de la même manière par tout le monde et en toute circonstance ». Ils expliquent que d’un point de vue linguistique, toutes les variétés linguistiques s’équivalent. C’est d’un point de vue social qu’une variété, perçue comme ayant une plus grande valeur, peut s’imposer en tant que standard.
De son côté, l’insécurité linguistique désigne
« un sentiment de dépréciation et d’incertitude que certains locuteurs éprouvent à l’endroit de leurs propres pratiques langagières, notamment parce que celles-ci sont considérées comme en porte-à-faux avec la norme »
(Remysen, 2018, p. 27, cité dans Jutras et Drouin, 2022).
En tant qu’espace de socialisation et d’apprentissage, Jutras et Drouin soulignent que l’école joue un rôle dans l’insécurité linguistique :
« le français a une portée bien plus grande que la simple discipline scolaire. La classe de français constitue le noyau des apprentissages linguistiques formels, mais son objet d’étude, la langue, est un vecteur identitaire fort qu’on ne peut ignorer ».
(Jutras et Drouin, 2022)
L’insécurité linguistique est ainsi susceptible de se manifester si l’enseignement du français renforce l’idée d’un français standard, sans faute, sans québécismes et autres traits familiers, ce qui peut avoir comme effet d’amener les étudiant·es à juger et à dévaloriser leur propre usage du français.
Les établissements scolaires et les enseignant·es peuvent contrer l’insécurité linguistique en changeant les façons de concevoir la langue et la norme. Pour y parvenir, les auteurs résument les huit pistes de solution déjà proposées par Remysen (2018) auxquelles ils ajoutent des actions pédagogiques visant à les mettre en œuvre. Nous reprenons ici de façon intégrale les pistes d’actions proposées par Jutras et Drouin.
Il s’agit là de reconnaître que l’étudiant·e possède déjà un bagage linguistique qu’on ne cherche pas à remplacer, mais plutôt à bonifier de connaissances et d’acquis – autant en français familier qu’en français standard – afin de permettre à l’étudiant·e de reconnaître différents contextes d’utilisation de la langue et de s’y adapter.
« Actions pédagogiques :
– Dans le cas de [l’étudiant·e] plurilingue, demander de comparer les règles en français avec celles d’une autre langue (la notion de genre et de nombre en farsi, par exemple);
– Laisser aux [étudiant·es] la liberté d’intégrer leur vécu linguistique dans des textes (dans les dialogues des personnages, en création libre, par exemple);
– Faire réaliser aux étudiantes et aux étudiants que la langue fait partie de leur vie même en dehors de l’école;
– Présenter le français standard comme un ajout et non pas une substitution à leur variété. »
Intégrer des textes provenant de différentes époques et aires géographiques et présentant diverses personnes interagissant dans une variété de situations permet de présenter de multiples usages de la langue. Ceci permet d’observer que le français standard est une façon parmi d’autres d’utiliser la langue.
« Actions pédagogiques :
– Nommer le phénomène de la variation linguistique quand on le rencontre, que ce soit dans la classe ou dans une œuvre, en précisant qu’il s’agit d’un phénomène naturel et légitime;
– Choisir des œuvres qui mettent en lumière différentes variétés linguistiques (et pas seulement familières, mais aussi géographiques, historiques et sociales);
– Observer les procédés d’écriture propres à ces variétés et montrer que celles-ci peuvent elles-mêmes être porteuses de sens en littérature. »
Le français évolue en fonction de l’usage qu’en font ses locuteur·trices. Ainsi, bien que des normes prescriptives existent, il arrive que ces dernières ne soient pas en phase avec l’usage courant de la langue.
« Actions pédagogiques :
– Faire « corriger » des phrases anonymes selon la norme actuelle et ensuite montrer que ces phrases proviennent de grands textes de l’histoire de la littérature (Voltaire, Zola, etc.);
– Éviter d’invoquer le français standard de manière péremptoire pour disqualifier des mots ou des usages. Préciser qu’il faut se fier au contexte pour déterminer quel mot est approprié. »
Comme le français standard cohabite avec d’autres usages de la langue, il faut également remettre en question la notion de faute et distinguer les erreurs d’orthographe, de grammaire ou de lexique des erreurs de registre dans le cas où un mot peut être bien orthographié, mais employé dans un registre inapproprié.
« Condamner un usage, surtout s’il fait partie du discours courant d’une personne, est susceptible de contribuer à l’insécurité linguistique, car cela sous-entend que celui-ci est invalide alors qu’il peut seulement être inapproprié dans un contexte donné. »
Il est suggéré d’explorer les règles retrouvées dans les différents usages de la langue afin de mettre en lumière certains principes de la langue.
« Actions pédagogiques :
– S’efforcer de remarquer la logique et la cohérence derrière le chaos apparent des variétés non standards;
– Célébrer la créativité caractéristique des variétés non standards;
– Prendre conscience que les erreurs des [étudiant·es] peuvent démontrer leur compréhension en ceci qu’elles peuvent être attribuables à une surgénéralisation d’un phénomène productif, c’est-à-dire courant dans la langue. »
Plutôt que de considérer le dictionnaire comme un ouvrage détenant la vérité sur la langue, cette sixième piste rappelle qu’il faut le percevoir comme un outil d’apprentissage et de référence dont le contenu est incomplet et parfois biaisé, en raison de son pays d’origine ou d’intérêts commerciaux notamment.
« Actions pédagogiques :
– Organiser un atelier lexicographique dans lequel les [étudiant·es] créent des articles de dictionnaire, par exemple à partir de néologismes connus n’ayant pas encore fait leur entrée dans les ouvrages de référence;
– Écrire aux différents dictionnaires pour proposer des ajouts ou des modifications à certains articles (peut d’ailleurs être fait en complémentarité avec la précédente piste);
– Contribuer au Wiktionnaire;
– Explorer les articles thématiques d’Usito (rubriques traitant de différents sujets en lien avec la langue, comme la nomenclature des arbres du Québec, les iles du fleuve Saint-Laurent et l’allophonie québécoise). »
Faire appel à des notions d’histoire permet de montrer l’évolution de la langue au gré des échanges entre les personnes et d’en souligner le caractère changeant.
« Actions pédagogiques :
– Comparer des œuvres anciennes et leur version actuelle pour constater l’évolution du français (les Lais de Marie de France, par exemple, où l’on présente dans les éditions modernes le texte original et sa version « traduite »);
– Faire remarquer aux [étudiant·es] que la poésie renseigne sur la prononciation des mots et son évolution en raison des rimes attendues. »
L’exploration de formes littéraires variées (poésie, chanson, théâtre, slam, capsules web, discours, blogues, langue des signes québécoise) permet d’observer différents usages et variations de la langue.
« Actions pédagogiques :
– Analyser des formes et genres littéraires variés (poésie, chanson, rap, slam, chaine YouTube, etc.);
– Proposer des écritures créatives permettant l’intégration de formes variées;
– Analyser l’effet de la variété utilisée dans une œuvre. »
En guise de conclusion, Jutras et Drouin soulignent l’importance de proposer des activités pédagogiques qui tiennent compte des différentes variétés de français afin d’offrir des expériences positives dans les cours de français. Ceci afin de renforcer le sentiment de compétence et la confiance des étudiant·es envers leur usage du français, de contribuer à leur réussite éducative et de valoriser la conception d’une langue française souple et diversifiée.
Consulter le dossier CAPRES Amélioration et valorisation du français en enseignement supérieur (2021).
Référence
Jutras, M. et Drouin, A. (2022). Comment tenir compte de la variation linguistique en classe ? Correspondance, 18 janvier.
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