Une équipe de recherche strasbourgeoise (Kennel, Guillon, Caublot et Rohmer) s’est intéressée aux représentations et pratiques des professeur·es relatives à la pédagogie inclusive à l’Université de Strasbourg. L'approche inclusive, prônée par la conception universelle de l’apprentissage (CUA) et la pédagogie inclusive est donc sous la loupe dans leur article intitulé « La pédagogie inclusive : représentations et pratiques des enseignants à l’université » et publié dans La nouvelle revue - Éducation et société inclusives.

Selon les chercheur·euses, leur problématique concerne directement la réussite éducative des étudiant·es. Elle s’interroge précisément l’accompagnement d’une population étudiante présentant des profils variés vers la réussite éducative, qu’il s’agisse d’étudiants en situation de handicap (ESH) ou non (Kennel et al., 2021). Cela dit, la réussite des étudiants en situation de handicap (ESH) à l’Université de Strasbourg n’a fait l’objet d’aucune recherche. Cependant, les chercheur·euses évoquent une enquête réalisée en mars 2019 à l’échelle de Strasbourg qui révèle que « […] sur l’ensemble des étudiants à besoins particuliers ayant été suivis par la Mission Handicap de Strasbourg entre 2009 et 2017 (n=1536 ; répondants n=231) indique que seuls 57 % des répondants ont obtenu le diplôme qu’ils préparaient » (ibid., p. 25).

Pédagogie inclusive en France : une culture en germe

Les auteur·trices rappellent les principes de la CUA :

  • Le « quoi » de l’apprentissage, soit représenter la matière de diverses manières (écrit, audio et visuel);
  • Le « comment » de l’apprentissage, soit favoriser la multiplicité des modes d’apprentissage et d’interaction;
  • Le « pourquoi » de l’apprentissage, soit privilégier divers modes participatifs (CAST, 2011, cité dans ibid., p. 26-27).

Pour en connaitre davantage sur la CUA, consulter le dossier du CAPRES.

Ainsi, les chercheur·euses proposent comme hypothèse que la culture de la pédagogie inclusive soit encore en germe en France. À la lumière de leurs lectures, ce sont surtout les établissements qui sont imputables, en France, au regard de la gestion des besoins des ESH. Il en ressortirait que les pratiques pédagogiques inclusives sont peu valorisées et peu utilisées par les professeur·es de l’Université de Strasbourg, notamment (Kennel et al., p. 27).

Méthodologie

En mai 2018, Kennel et al. ont soumis un questionnaire « auto-rapporté » en ligne, inspiré du modèle de Lombardi – Inclusive Teaching Strategies Inventory (ITSI) –, à tous les professeur·es chercheur·euses titulaires de l’Université de Strasbourg. Le questionnaire sondait l’adéquation entre les stratégies pédagogiques des répondant·es et la CUA (ibid., p. 28).

À noter que 117 sur 2214 professeur·es ont répondu (5,3 %). 

Les professeur·es devaient répondre aux 89 questions divisées en six rubriques en utilisant une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (toujours d’accord). Puis, 33 items supplémentaires visaient à sonder les répondant·es en deux temps : 1) la déclaration de leurs attitudes/croyances concernant l’item et 2) la déclaration de leurs actions/comportements concrets. Les six rubriques concernaient respectivement :

  • les dispositions particulières;
  • l’accessibilité des supports;
  • adaptation des rendus;
  • animation du cours;
  • diversité des accès aux contenus et interactivité;
  • flexibilité de l’évaluation (ibid., p. 28).

Résultats : bonne volonté, craintes et incompréhension

Dans l’article, les résultats sont présentés dans des tableaux (un par rubrique) qui permettent de voir en un coup d’œil les réponses des professeur·es en pourcentage.

Une fois les résultats colligés par l’équipe de recherche, il ressort des réponses « une culture enseignante encore éloignée de la conception universelle de l’apprentissage ».

Image d’étudiant·es ayant des profils variés : Canva

À ce titre, les auteur·trices remarquent : « On note d’ailleurs parfois dans les propos des participants une confusion entre le principe d’égalité et celui d’équité propre au principe d’inclusion sociale et de réussite pour tous. » (ibid., p. 40)

Les professeur·es sondé·es ont exprimé plusieurs craintes, notamment quant à la réalisation du travail « normal » du professeur·e qui serait menacée par les exigences de la pédagogie inclusive. Précisément, les répondant·es appréhendent :

  • un risque de voir leur charge de travail augmentée;
  • un risque de ne pas respecter les contenus d’enseignement (propriété intellectuelle) en raison d’une diffusion large des supports;
  • un risque de devoir prendre une décision qui reviendrait à l’institution concernant des aménagements lors d’une évaluation;
  • un risque d’enfreindre les Modalités d’évaluation des connaissances et des compétences (MECC) et le principe d’égalité des chances en adaptant les évaluations aux besoins des ESH (ibid., p. 40).

Une autre crainte réside dans la perception des professeur·es qu’ils·elles ne sont pas outillé·es pour répondre aux normes de l’université inclusive. Par exemple, un des répondants témoigne qu’il aurait besoin d’une formation spécifique sur les autistes (ibid., p. 40-41).

À noter : « 73 % des enseignants interrogés n’ont eu aucune formation sur la question de l’inclusion ».

Ibid., p. 41

L’équipe de recherche relève une tension entre ce qu’ils appellent les valeurs démocratiques chères aux professeur·es et la remise en question de leurs pratiques d’enseignement et leur sentiment d’inexpérience ou d’incompétence à l’égard des pratiques requises par la CUA (ibid., p. 41).

Les défis de l’intégration de la CUA à Strasbourg

Si la recherche a démontré la bonne volonté des professeur·es strasbourgeois·es et leur conviction de la légitimité de l’adaptation scolaire aux besoins des ESH (ibid, p. 41), il demeure que « les politiques françaises actuelles n’intègrent pas encore aujourd’hui la question de l’inclusion dans l’approche pédagogique » (ibid.).

De plus, les réponses analysées révèlent que les pratiques enseignantes restent à améliorer par rapport aux mesures d’adaptation. Si certain·es sondé·es n’avaient tout simplement pas eu affaire avec des ESH, d’autres répondant·es étaient réticents à adopter des pratiques prônées par la CUA.

En somme, cet article qui recense précisément les défis rencontrés par les enseignant·es de l’Université de Strasbourg (méconnaissance des notions de CUA et de pédagogie inclusive, insécurité face à de nouvelles pratiques, confusion entre égalité et équité, etc.) intéressera quiconque souhaite intégrer la CUA ou la pédagogie inclusive dans son enseignement.

Références : Kennel, S., Guillon, S., Caublot, M. & Rohmer, O. (2021). La pédagogie inclusive : représentations et pratiques des enseignants à l’université. La nouvelle revue – Éducation et société inclusives, 89-90,2, 23-45. https://doi.org/10.3917/nresi.090.0023

Lombardi, A., & Murray, C. (2011). Measuring university faculty attitudes toward disability: Willingness to accommodate and adopt Universal Design principles. Journal of Vocational Rehabilitation34(1), 43-56. DOI:http://www.capres.ca/dossiers/la-conception-universelle-de-lapprentissage-cua/>

CAST. (2011). Lignes directrices sur la conception universelle de l’apprentissage (Universal Design for Learning-UDL) (p. 42). https://pcua.ca/fichiers/documents/pdf/1.3%20.Texte%20intégral%20sur%20les%20lignes%20directrices%20de%20la%20 Conception%20Universelle%20de%20l’apprentissage%20(UDL)%20Version%202.0%201er%20 févirer%202011.pdf

CAPRES. (2015). La conception universelle de l’apprentissage. CAPRES. https://oresquebec.ca/dossiers/la-conception-universelle-de-lapprentissage-cua/