Le mémoire de maîtrise en travail social d'Alexandra Mansour, de l'Université du Québec à Chicoutimi, examine si les conditions de persévérance sont plus favorables dans la communauté d’Essipit, une réserve innue de la Côte-Nord.

Alors que dans les communautés autochtones, les taux d’échec et d’abandon scolaires seraient de 3 à 4 fois plus élevés que dans la population en général, le décrochage est loin d’être une problématique vécue par les étudiants de la communauté d’Essipit. Le récent mémoire d’Alexandra Mansour, paru cet automne et dirigé par la professeure Danielle Maltais, vise donc à 1) connaître les motifs qui encouragent les jeunes autochtones de cette communauté à persévérer dans la poursuite de leurs études ; 2) identifiés les acteurs (personnels, familiaux, sociaux et scolaires) liés à la poursuite des études ; 3) cibler les interventions mises en place dans cette communauté qui favorisent la persévérance scolaire.

Contexte particulier d’Essipit

En 2015, selon les données recueillies auprès de la Direction des services et programmes communautaires, les 47 jeunes autochtones de cette communauté fréquentaient tous des écoles secondaires, des centres de formation professionnelle, des cégeps ou des universités afin d’obtenir un diplôme qualifiant. Selon les autorités en place, les derniers cas d’abandon scolaire définitif datent d’environ huit à neuf ans.

Les jeunes adultes d’Essipit qui désirent poursuivre des études postsecondaires sont généralement dirigés vers les cégeps de Chicoutimi, de Jonquière, ou de Sainte-Foy et l’Université du Québec à Chicoutimi ou l’Université Laval.

À des fins comparatives, notons qu’au Québec, en 2011, 37,7 % des étudiants autochtones n’avaient pas obtenu leur diplôme d’études secondaires, comparativement à 21,6 % pour la population québécoise (Statistique Canada, 2011).

Comment expliquer cette situation particulière de réussite et de persévérance scolaires à Essipit ?

Facteurs de persévérance

L’auteure souligne que les concepts de persévérance et de réussite sont relativement nouveaux chez les Autochtones puisqu’auparavant, les savoirs étaient transmis dans des contextes familiaux et communautaires.

En contexte autochtone, le concept de réussite scolaire peut-être défini comme la progression dans les apprentissages. L’important est que l’étudiant aille bien et qu’il continue de progresser. En milieu autochtone, la réussite n’est donc pas mesurée que par des résultats et des notes.

D’ailleurs, « les Premières Nations, et par le fait même les Pekuakamiulnuatsh [Innus de Mashteuiatsh], considèrent que c’est collectivement et en tenant compte de toutes les dimensions de l’Être que l’on atteint une bonne santé, le sentiment de fierté et la réussite scolaire ». À ce sujet, Action Réussite (2013) mentionne que la persévérance scolaire est un défi collectif pour toute la communauté et ne concerne pas seulement les établissements.

Les différents facteurs de protection des jeunes autochtones sont de quatre ordres :

  • personnels : santé, estime de soi, habitudes de vie, consommation de drogues et/ou alcool, etc.
  • familiaux : niveau de scolarité des parents, liens entre école et parents, règles familiales structurées, encouragements et implication des parents, etc.
  • scolaires : qualité des relations étudiant-enseignant, activités parascolaires, offre de services spécialisés, collaboration avec la communauté, etc.
  • sociaux : statut socioéconomique des parents, soutien et implication de la communauté, réseau social, relations avec les non-autochtones et adaptation psychosociale à la communauté québécoise.

Principaux constats

Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées à partir d’une grille d’entretien fondée sur les facteurs de protection ci-haut mentionnés. Huit femmes et un homme ont participé à l’étude. Au moment de la collecte des données, quatre avaient plus de 19 ans, trois étaient âgés de 16 à 18 ans et deux avaient entre 13 et 15 ans.

Les sources de motivation

Les raisons qu’ont les jeunes autochtones d’Essipit de poursuivre leurs études secondaires, collégiales ou universitaires ont été regroupées en quatre grandes catégories :

  • l’employabilité : tous ont émis le désir d’occuper un emploi qui sera à la hauteur de leurs attentes;
  • l’acquisition de nouvelles connaissances et la diplomation : la perspective d’une diplomation prochaine motive les participants à terminer leurs études;
  • la pratique d’activités sportives : celles-ci augmenteraient leur motivation, créeraient un sentiment d’appartenance et modifieraient positivement leur perception de l’école;
  • l’influence des personnes significatives : elle a permis aux répondants de se sentir appuyés, encouragés et incités à poursuivre leurs études.  

Les répondants évoquent que des les enseignants, la responsable de l’éducation au Conseil de Bande d’Essipit, des amis et leurs parents sont des personnes significatives ayant eu une influence sur leur parcours scolaire.

Les facteurs de protection à Essipit

Des facteurs de protection en lien avec la persévérance scolaire permettent à des jeunes de la communauté d’Essipit de persévérer tout au long de leurs études secondaires, collégiales ou universitaires

Sur le plan des système de valeurs et de croyances sociales , il s’agit :

  • des valeurs d’éducation et de persévérance scolaire promues à Essipit ;
  • le financement du Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire (PAENP) du gouvernement fédéral, qui permet aux étudiants des Premières Nations et Inuits de poursuivre des formations postsecondaires ou supérieures ;
  • la persévérance scolaire en tant que de priorité gouvernementale et régionale au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Sur le plan des composantes de la communauté d’Essipit et des différents services offerts, il s’agit :

  • de la qualité de l’enseignement dans le milieu scolaire ;
  • de l’implication cohérente du Conseil de bande.

Sur le plan des interactions entre les membres de la famille, le réseau social et le milieu scolaire, il s’agit :

  • du climat favorable en classe ;
  • de la collaboration entre la communauté et le milieu scolaire.

Sur le plan des relations interpersonnelles dans la maison familiale ou le groupe-classe, il s’agit :

  • de la présence de personnes significatives;
  • des bonnes relations avec les parents;
  • d’un réseau social clair et soutenu;
  • de la scolarité et de l’implication des parents;
  • des conditions de vie et de celles du milieu scolaire.

Sur le plan de des particularités du jeune comme ses forces, ses limites et sa personnalité, il s’agit :

  • des caractéristiques personnelles comme la résilience;
  • une bonne santé;
  • des expériences de vie;
  • des valeurs;
  • de l’estime de soi;
  • des loisirs comme le sport;
  • de l’absence de consommation de drogues et/ou alcool.

En somme, cette étude permet de faire le constat que le décrochage aux niveaux secondaire, collégial et universitaire n’est pas une fatalité pour toutes les communautés autochtones du Québec.