Une récent étude menée auprès de 24 502 étudiants du collégial propose d’examiner les natifs du numérique sous l’angle des usages des technologies en éducation.
Intitulé « Les natifs du numérique aux études : enjeux et pratiques », l’article d’Alexandre Gareau (UQAR), Bruno Poellhuber et Normand Roy (UdM) publié dans le dernier numéro de la Revue canadienne d’apprentissage et de technologie permet de nuancer la vision habituelle des « natifs du numérique ».

Inégalités numériques

Baignant depuis leur naissance dans un environnement technologique, les  « digital natives » – les milléniaux – seraient plus aptes que les générations précédentes à utiliser la technologie dans différentes sphères de leur vie, notamment l’éducation.
 
Or, selon les études recensées par les auteurs, cette image véhiculée dans les médias des jeunes toujours branchés et hypercompétents avec les technologies n’est pas tout à fait exacte. Il y aurait plus de différences entre les individus d’une même génération qu’entre les individus de générations différentes, ce qui exige de bien comprendre l’expérience et les habitudes des apprenants avec les technologies.
La question des inégalités numériques ne se pose pas simplement de manière dichotomique (avec ou sans les technologies), mais s’avère beaucoup plus complexe,  notamment dans ses manifestations subtiles à travers les usages technologiques. Les auteurs de l’article soulignent que si nous observons réellement des changements dans les habitudes technologies chez les plus jeunes, il est possible de s’interroger sur les transformations de la littératie chez ces derniers.

Littératie numérique

La littératie numérique – ou compétence numérique – est maintenant considérée comme une composante de la littératie selon l’UNESCO. Ce concept a considérablement évolué dans la dernière décennie, ayant parfois une fonction davantage utilitaire (compétence technique), réflexive (éducation aux médias) ou mixte (littératie numérique ou multimodale).
Ainsi, au sein d’une même génération, il pourrait y avoir une grande variabilité dans le développement de la littératie numérique, qui n’est pas uniquement basée sur l’âge ou sur la variabilité des conditions d’accès à la technologie. Néanmoins, l’hypothèse d’une génération de « natifs du numérique » semble bien ancrée dans le vocabulaire usuel, allant même jusqu’à être intégrée dans des écrits officiels, dont certains du gouvernement du Québec.

Vaste étude quantitative

À la lumière du débat sur les natifs du numérique, les auteurs de l’article proposent d’examiner l’hypothèse générationnelle selon des données empiriques provenant d’étudiants collégiaux francophones québécois. Le projet vise à répondre à la question générale suivante : quelles sont les différences générationnelles des étudiants relativement à la littératie numérique ? De plus, les questions secondaires suivantes sont posées :
  • Quelles sont les compétences numériques des étudiants natifs du numérique par rapport à celles des autres générations?
  • Comment ces compétences sont-elles liées à leur perception de la valeur accordée des TIC pour l’apprentissage?
  • Existe-t-il des inégalités numériques au sein des différentes générations?
Réalisée en mai 2011, cette étude est le fruit d’une enquête en ligne effectuée auprès de l’ensemble des étudiants inscrits aux secteurs régulier et technique dans un établissement collégial du Québec, que celui-ci soit francophone, anglophone, privé ou public. Au total, 24 502 étudiants collégiaux, dont l’âge moyen était de 20 ans, ont participé à cette recherche. Les répondants ayant 21 ans et moins ont été identifiés comme étant des « natifs numériques » (année de naissance = 1991 ou plus), les répondants ayant entre 22 et 31 ans seront identifiés comme étant des « pré-natifs du numérique » et les répondants ayant 32 ans et plus seront identifiés comme étant des « immigrants numériques ».

Résultats saillants

Les résultats confirment ce que d’autres ont conclu : les natifs du numérique sont, en partie du moins, un mythe. S’il existe certaines différences entre cette génération et les précédentes, elles sont subtiles et pas si importantes. Les natifs du numérique sont à peine plus branchés que les pré-natifs, soit la génération précédente. Voici quelques résultats révélateurs : 
  • On retrouve une proportion significative de technophiles et une proportion élevée d’usagers moyens dans la génération des natifs du numérique. Il existe une différence significative entre les natifs du numérique et les immigrants numériques, la proportion de technophiles étant plus importante chez les natifs du numérique et les pré-natifs que chez les immigrants. Ces résultats contrastent déjà nettement avec le discours ambiant sur les natifs du numérique et montrent qu’il existe des différences à l’intérieur de chaque génération.
  • La différence la plus importante est celle qui est relative aux outils de réseautage. Cela étant dit, les usages pédagogiques des réseaux sont très peu répandus et se retrouvent plutôt dans des contextes informels.
  • Il semble que les hommes surestiment quelque peu leurs compétences avec les technologies tandis que l’inverse serait vrai pour les femmes. Ces résultats suggèrent un biais perceptuel plutôt qu’une différence réelle.
  • Les étudiants plus âgés se tournent davantage vers les médias sociaux pour effectuer leur recherche que les plus jeunes. Cela étant dit, les jeunes se perçoivent plus compétents en recherche d’informations que les plus vieux.
  • Il existe peu de lien entre l’utilité perçue et la compétence rapportée. Ainsi, être compétent avec un outil technologique ne signifie pas apprendre davantage avec la technologie.

Des apprenants numériques?

La perception que la technologie est réellement utile pour les apprentissages est aussi importante pour les répondants de chaque génération. Toutefois, cela ne permet pas de valider qu’ils sentent le besoin d’apprendre à partir des technologies. La perception de l’utilité pédagogique des TIC est plus importante chez les technophiles que chez l’usager moyen, et on retrouve moins de technophiles dans la génération des immigrants que dans les autres générations. Selon les auteurs de l’étude, il semble essentiel d’éviter les grandes généralisations, mais plutôt de s’intéresser aux facteurs institutionnels, contextuels et personnels qui pourraient avoir des effets sur le niveau de développement des compétences numériques. Selon leurs résultats, l’ensemble des étudiants utilise les technologies, mais celles-ci ne sont pas toujours exploitées à leur plein potentiel en éducation. En somme,  ils n’ont pas appris à apprendre avec les technologies, ce qui nuance la vision selon laquelle les « natifs du numérique » seraient plus compétents numériquement que les générations précédentes.