Éric Richard, enseignant de sociologie au Campus-Notre-Dame-de-Foy, s'intéresse à la réalité de la mobilité intraprovinciale en vue de soutenir et de favoriser la persévérance et la réussite des étudiants collégiaux. Paru dans la revue Pédagogie collégiale (vol. 31, no 2), son article vise à rassembler quelques résultats de ses recherche ainsi que des pistes de réflexion afin de répondre aux besoins des étudiants qui déménagent ou navettent pour leurs études. Les précédents travaux de Richard ont déjà démontré que la migration a une influence positive sur la réussite scolaire à la première session d’inscription. Les taux de réinscription des étudiants à la troisième session sont également un indicateur utile pour prédire le taux de diplomation.

La réinscription comme indicateur de réussite

Des résultats intéressants concernent la réinscription dans le même collège :
  • les étudiants qui migrent pour études (70,0%) et les navetteurs (70,7%) sont proportionnellement moins nombreux que les étudiants non migrants (75,9%) à se réinscrire dans le même collège.
En somme, pour les étudiants touchés par l’une ou l’autre des formes de mobilité, les changements de collèges seront plus fréquents au cours de leur cheminement collégial. Dans la moitié des cas, pour les migrants et les navetteurs, ces changements surviennent au profit d’un collège situé plus près de leur région d’origine.

La diplomation comme indicateur de réussite

Les données de Richard montrent que les taux de diplomation sont significativement différents selon la situation de mobilité des étudiants :
  • les étudiants non migrants sont proportionnellement plus nombreux (38,0%) à obtenir leur DEC dans le délai prévu que les étudiants touchés par la migration (30,9%) et ceux touchés par le navettage (31,1%) durant leur parcours collégial ;
  • les étudiants touchés par l’une ou l’autre des formes de mobilité sont proportionnellement plus nombreux à ne pas obtenir de DEC ou à l’obtenir trois ans ou plus après le délai prévu.
La migration et le navettage semblent donc avoir un impact sur les taux de persévérance et de réussite des étudiants en situation de mobilité.

Pourquoi abandonnent-ils ?

L’enseignant-chercheur a rencontré 17 étudiants qui n’ont pas mené à terme leur projet d’études collégiales en situation de migration et qui proviennent de régions variées : Montréal, Laval, Montérégie, Capitale-Nationale, Mauricie, Côte-Nord ainsi que Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. L’auteur souligne que ces étudiants n’ont pas tous abandonné les études, puisque 10 d’entre eux, une fois de retour dans leur région, étaient inscrits à une formation professionnelle ou collégiale. Ce qu’ils ont abandonné, en fait, c’est un projet d’études en situation de migration pour 3 grandes raisons :

1. Difficultés liées aux ressources économiques

La question des ressources économiques ne concerne pas seulement le fait d’avoir les moyens financiers nécessaires pour poursuivre des études, elle évoque aussi les exigences financières occasionnées par la migration comme telle : logement, dépenses additionnelles (électricité, assurances), déplacements (billets d’autobus, frais pour l’entretien d’une voiture), endettement plus grand à l’obtention du diplôme.

2. Indécision vocationnelle

Pour les répondants ayant mentionné cette cause, l’indécision vocationnelle est toujours expliquée en lien avec d’autres raisons liées à la migration: l’éloignement, le manque de préparation, les déplacements, les difficultés d’adaptation, le lieu de résidence et le sentiment d’isolement.

3. Manque de préparation à la migration

Seules les préparations organisationnelle et matérielle ont quelque peu reçu l’attention des 17 étudiants rencontrés: trouver un lieu de résidence, planifier le déménagement et le transport, se procurer le matériel nécessaire, etc. La préparation financière est étonnamment occultée de leur propos. Les coûts et les obligations financières sont souvent sous-estimés. Enfin, la préparation psychologique qui pourrait aider à atténuer certaines difficultés d’adaptation, d’éloignement, de stress et de solitude semble avoir été totalement négligée.

Recommandations

Une tendance se démarque chez les migrants ayant abandonné leur projet d’études : celle d’attendre à la dernière minute pour se préparer à la migration. L’auteur recommande donc :
  • que les cégeps et collèges fournissent plus de renseignements aux migrants pour études pour les accompagner dans leur préparation (ville de destination, lieux où se loger, moyens de transport, services au collège ou bien à proximité, formes de préparation, aspects à prévoir, etc.) ;
  • de faciliter la transition entre le secondaire et collégial en offrant aux futurs migrants des cours préparatoires dans les écoles secondaires (grâce à des partenariats entre les établissements) et en leur permettant de venir visiter le collège (étudiant d’un jour) en compagnie des parents ;
  • mettre en place un système de soutien par les pairs (par exemple, un jumelage avec des «migrants pour études d’expérience ») ;
  • adapter l’horaire de cours des migrants pour études qui veulent retourner dans leur région hebdomadairement afin de permettre de plus longues fins de semaine avec leur famille ;
  • mettre en place des moyens qui facilitent les obligations de la vie quotidienne pour les migrants, notamment en organisant des services de transport pour se rendre à l’épicerie ou en développant des ententes avec des commerçants du coin pour des tarifs préférentiels (par exemple, une épicerie pourrait offrir 10% de rabais aux étudiants qui habitent aux résidences d’un collège).
Sachant que plus de 20% des étudiants se trouvent en situation de mobilité intraprovinciale chaque année, se préoccuper de leurs difficultés et de leurs besoins est une piste importante pour favoriser la persévérance et la réussite au collégial. Pour accéder directement à l’article