Quels sont les parcours scolaires, professionnels et personnels de jeunes francophones qui ont fait le choix de poursuivre leurs études dans un cégep anglophone? Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Karine Vieux-Fort s'est penchée sur cette question. Les résultats nous indiquent sur les choix du cégep anglophone, les expériences d'études collégiales en anglais et les impacts sur la suite du parcours scolaire, professionnel et personnel.

Publiée en 2019, cette thèse de doctorat menée à l’Université Laval a été rédigée par Karine Vieux-Fort et porte le titre Les parcours de jeunes francophones qui choisissent d’étudier dans un cégep anglophone: une étude rétrospective.

Méthodologie

Afin de documenter les parcours de ces jeunes francophones, Vieux-Fort a mobilisé une approche qualitative en réalisant des entrevues de type récit de vie. Trente-sept jeunes francophones ont été rencontrés au moment où ces derniers étaient sur le marché du travail. Parmi les participants, 20 ont étudié au seul cégep anglophone de la région de Québec (Campus St-Lawrence du Collège Champlain) alors que 17 ont étudié dans les cégeps anglophones de la région de Montréal (5 au Campus Saint-Lambert du Collège Champlain; 2 au Collège Dawson; 5 au Collège Vanier; 4 au Collège John Abbott; 1 au Collège Marianopolis). 

Principaux résultats

Vieux-Fort propose une typologie pour répondre à chaque objectif spécifique de recherche qui sont les suivants :

  • identifier les raisons de poursuivre des études collégiales en anglais;
  • identifier les expériences d’études collégiales en anglais;
  • dépeindre les processus de socialisation à l’anglais dans la suite du parcours scolaire, professionnel et personnel;
    • déterminer si le cégep anglophone contribue ou non à moduler les identités linguistiques et civiques dans la suite du parcours de vie.

Faire le choix du cégep anglophone

La première typologie présente trois types pour comprendre le choix du cégep anglophone pour les francophones rencontrés.

1. Choix stratégique: « le choix du cégep anglophone [est fait] dans une perspective calculée et stratégique, où les connaissances en anglais acquises lors des études collégiales sauront être rentables sur le marché de l’emploi. Des discours sur l’importance et la valeur de la langue anglaise sont présents chez ces francophones. Dans certains cas, ils sont nourris par la famille et, dans une moindre mesure, par l’école et les pairs » (p.246).

2. Choix de développement personnel: « des francophones font le choix du cégep anglophone dans une perspective de réalisation intellectuelle qui ne tient pas compte des finalités liées à l’utilité du choix. Le choix s’effectue alors pour développer des connaissances linguistiques, nourrir un désir d’ouverture à d’autres cultures et relever un défi personnel » (p.246). 

3. Choix par défaut: « la langue d’études intervient en second [dans ce type de choix] alors que d’autres raisons poussent au choix du cégep anglophone. Ce choix […] renvoie plus spécifiquement à l’impossibilité d’accès à des établissements d’enseignement supérieur en langue française, le désir d’intégrer un programme d’études spécifique et le souhait de pratiquer un sport » (p.246).

Expériences des études collégiales en anglais

Une deuxième typologie, sur les expériences des études collégiales en anglais, est constituée de cinq types qui articulent une adhésion différenciée sur le plan scolaire et sur le plan social.

1. Expérience d’intégration facilitée: « une adhésion sur le plan scolaire et sur le plan social [se remarque]. Les francophones qui s’inscrivent dans cette expérience […] maîtrisent le métier d’étudiant et manifestent une capacité de socialisation au sein des groupes d’appartenance et de référence du cégep anglophone » (p.249).

Tous droits réservés (Karine Vieux-Fort, 2019)

2. Expérience d’intégration sélective: « [elle] présente elle aussi une adhésion aisée sur le plan scolaire, mais elle se singularise par un repli quant à l’adhésion sociale. Cette expérience [se caractérise] par la maîtrise du métier d’étudiant, mais aussi […] par une non-adhésion sociale au regard des interactions avec les autres groupes ethnolinguistiques du cégep et de la participation à la vie collégiale » (p.249).

3. Expérience d’intégration stratégique: « [elle] se caractérise par une adhésion sur le plan scolaire et sur le plan social. Si l’adhésion sociale se fait aisément […], l’adhésion scolaire est, quant à elle, plus ardue et nécessite le déploiement de stratégies […] » (p.249).

4. Expérience d’intégration sous tensions: « une adhésion sur le plan scolaire se remarque […], mais elle n’est pas aisée et nécessite la mobilisation de stratégies […]. Au-delà de la capacité à dépasser les difficultés rencontrées sur le plan scolaire, une non-adhésion sociale se manifeste […] » (p.249-250).

5. Expérience de rupture: « une adhésion variable sur le plan scolaire se manifeste, mais une absence d’adhésion sociale se révèle fortement. Malgré la mobilisation de stratégies pour entretenir un certain sens face aux études, une perte de sens devient manifestement trop grande. La stratégie ultime revient alors à quitter le cégep anglophone » (p.250).

Processus de socialisation à l’anglais dans la suite du parcours de vie

La troisième et dernière typologie fait état des processus de socialisation à l’anglais dans la suite du parcours de vie. Sept types constituent la typologie où les pratiques linguistiques varient dans les sphères scolaire, professionnelle et personnelle.

1. Parcours d’anglicisation: « se caractérise par des pratiques majoritairement en anglais dans la sphère professionnelle et – c’est ce qui le distingue – dans la sphère personnelle. Cette place centrale qu’occupe l’anglais dans les sphères de vie, qui se maintient dans le temps, singularise ce type de parcours. Il s’agit toutefois d’un parcours d’exception au sein de notre corpus, puisqu’il ne concerne qu’un seul participant » (p.254).

2. Parcours de continuation dans des sphères anglophones: « est marqué par une scolarisation universitaire en anglais ainsi que par une insertion à un marché du travail majoritairement anglophone. Dans la sphère personnelle, si l’anglais est présent dans certaines des pratiques culturelles et des relations sociales, le français continue d’occuper une place relativement importante » (p.254).

3. Parcours de navigation entre l’anglais et le français: « domine au sein de notre corpus [et] se singularise par la capacité de l’acteur à passer d’une langue à l’autre selon les opportunités et les contraintes qui se présentent dans les sphères scolaire, professionnelle et personnelle » (p.254).

4. Parcours de retour à des sphères francophones: « est marqué par des études universitaires en français, suivies d’une intégration à un marché du travail essentiellement anglophone, voire international. Par la suite, une bifurcation dans la sphère professionnelle amène à une intégration à un marché du travail francophone et, dans certains cas, à un retour au Québec. L’expérience professionnelle en milieu anglophone et la bifurcation qui s’ensuit conduisent à une affirmation de l’importance des pratiques et des usages linguistiques en français dans la sphère personnelle » (p.254).

5. Parcours de maintien de l’anglais dans la sphère personnelle: « se caractérise par une évolution dans les sphères scolaire, professionnelle et personnelle où le français domine. Des stratégies sont toutefois déployées, principalement dans la sphère personnelle et, dans une moindre mesure, dans la sphère professionnelle pour maintenir les connaissances et les compétences acquises en anglais lors des études collégiales » (p.254).

6. Parcours de détachement face à l’anglais: « les études collégiales en anglais ne sont qu’une expérience dans un parcours marqué par l’usage de la langue française. Ainsi, le français est central dans les sphères scolaire, professionnelle et personnelle. Les opportunités professionnelles qui peuvent se présenter grâce aux connaissances acquises en anglais ne représentent pas de réelle valeur pour les participants au fil de leur parcours » (p.255).

7. Parcours de déplacement vers l’espagnol: « constitue un autre cas d’exception au sein de notre corpus. Il se singularise par une importance que représente l’anglais dans la sphère scolaire qui sera ensuite délaissée, à la suite de bifurcations dans le parcours, au profit de l’espagnol qui se déploie dans les sphères personnelle et professionnelle » (p.255).

En somme, la thèse de doctorat de Vieux-Fort apporte un éclairage sur les parcours scolaires, professionnels et personnels de jeunes francophones qui font le choix d’étudier dans un cégep anglophone. Au sein des politiques éducatives et linguistiques à l’enseignement supérieur au Québec, cette thèse représente un apport aux connaissances actuelles sur les parcours étudiants à l’enseignement supérieur et sur l’orientation scolaire et professionnelle.

Source(s)

Vieux-Fort, Karine. 2019. Les parcours de jeunes francophones qui choisissent d’étudier dans un cégep anglophone: une étude rétrospective. Thèse de doctorat. Université Laval.