Plusieurs enseignants se sentent démunis devant la tâche d’aider les étudiants à développer leurs compétences en littératie en vue d’aborder des savoirs et des genres disciplinaires nouveaux. Comment doivent-ils aider les élèves à se doter des compétences requises en lecture alors qu’eux-mêmes ont peut-être acquis celles-ci de manière informelle, voire inconsciente, au fil de leurs études? Dans cet article, Catherine Bélec, enseignante de français au cégep Gérald-Godin, présente les éléments qu’un enseignant a tout avantage à considérer avant la lecture afin de mieux guider ses étudiants dans ces apprentissages. Ces résultats de recherche sont présentés dans la publication Correspondance du Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD). Il s’agit d’un deuxième article sur le sujet pour cette auteure, le premier traitant plutôt de l’alignement pédagogique des lectures.

Qu’est-ce que l’interprétation?

Bélec amorce son article en y allant d’une explication de la différence entre interprétation et compréhension, le premier terme étant généralement compris comme une étape postérieure et de niveau supérieur au second terme. L’auteur explique que ce n’est en réalité par le cas. En effet, celle-ci souligne que les recherches récentes tendent à indiquer qu’un texte ne peut être compris de façon uniforme par tous les lecteurs. En fait, dit-elle, ce serait plutôt l’inverse. La compréhension correspondrait à la stabilisation de l’interprétation. Elle poursuit en affirmant que «dès qu’on admet que toute lecture constitue une interprétation, il devient primordial, afin d’orienter la lecture vers une “compréhension” commune, de prendre en compte les facteurs susceptibles d’influencer cette interprétation». Les facteurs qui peuvent influencer l’interprétation sont :
  • Le lecteur (ses objectifs personnels, ses traits affectifs, ses compétences, ses connaissances antérieures, etc.)
  • Le texte (son contenu, sa forme, son contexte de rédaction, etc.)
  • Le contexte de lecture (objectifs d’apprentissage, tâche à réaliser, champ disciplinaire dans lesquels s’inscrit la lecture, etc.)
En se basant sur ces facteurs, qui sont en relations les uns avec les autres, les enseignants devraient être en mesure de mieux cibler leurs interventions lorsqu’ils donneront une lecture à effectuer à leurs étudiants.

Le lecteur d’abord

Pour Bélec, l’individualité du lecteur est bien souvent mise de côté au collège puisque jugée non pertinente, voire risquée. La lecture ne serait qu’un processus de décodage, relativement objectif. Pourtant, précise l’auteur, «bien des problèmes d’intégration des apprentissages réalisés au moyen de la lecture trouvent leur source non pas dans le texte lui-même ou dans le contexte de lecture, mais dans un conflit d’interprétation entre le lecteur, d’une part, et le texte ou le contexte, d’autre part». Pour éviter cet écueil, l’enseignant aurait intérêt à inviter l’élève à se poser des questions avant de faire la lecture. Cela pourrait leur permettre d’identifier leurs biais de lecteur. Pour cela, il faut bien sûr avoir tracé son portrait de lecteur, précise Bélec. Cela peut se faire par le biais d’un questionnaire ou d’une discussion en classe. Trois exemples de questions sont présentés :
  1. Pourquoi est-ce que je lis? Cette question permet au lecteur d’identifier ses objectifs personnels, sa motivation intrinsèque.
  2. Qu’est-ce que je pense de…? Cette deuxième question permet de faire ressortir les traits affectifs du lecteur (importante surtout lors de la lecture de textes abordant des questions morales ou idéologiques).
  3. Comment est-ce que je lis? La troisième question porte sur les compétences du lecteur. Elle vise à lui permettre de comprendre l’importance d’adopter des stratégies de lecture efficaces.

Les connaissances du lecteur par rapport au texte

Un portrait ne serait pas complet, indique l’auteur, sans se pencher sur les connaissances antérieures du lecteur par rapport au texte à lire. Les stratégies à employer devraient varier en fonction du moment où intervient la lecture du texte dans un apprentissage. L’auteur souligne deux types de lecture :
  • La lecture visant à consolider ou à approfondir des apprentissages réalisés en classe. Dans ce cas-ci, l’enseignant va demander à l’élève de puiser dans sa mémoire sur le sujet traité. Il peut aussi demander de rédiger des questions et leurs réponses sur le sujet du texte. Enfin, il pourrait aussi demander que soit produite une carte sémantique schématisant ce qui est connu sur le sujet.
  • La lecture visant à préparer les apprentissages qui seront réalisés plus tard en classe. Dans ce deuxième cas, l’enseignant peut demander de remplir un guide de prédiction. Celui-ci se conçoit à partir de questions produites par l’enseignant qui se base sur les idées générales que les élèves sont susceptibles d’avoir. Les élèves doivent répondre aux questions avant la lecture. Cela devrait les inciter à être plus attentifs sur le point ciblé par l’enseignant, mais aussi plus motivé, car ils voudront savoir si leur prédiction s’avère juste.

Considérer la forme du texte

Bélec rappelle qu’au collégial, les étudiants sont souvent mis face à des textes appartenant à des genres (littéraires) avec lesquels ils ne sont pas familiers. L’enseignant doit donc attirer l’attention des élèves sur les caractéristiques des genres afin de leur permettre de mieux comprendre les éléments qu’ils doivent considérer.

L’influence du contexte

Le contexte disciplinaire dont est issu un texte doit également être considéré par le professeur. Cela est dû au fait que chaque champ disciplinaire est caractérisé par sa propre perspective épistémologique, ce qui mène à une construction du savoir tout aussi particulière. Le professeur est le mieux placé pour guider ses élèves sur ce plan. Le contexte d’apprentissage est tout aussi important. L’étudiant doit bien comprendre les objectifs d’apprentissage visés par la lecture. Doit-il faire une analyse, produire une critique ou se souvenir d’information du texte? L’identification du type d’évaluation qui suivra la lecture est aussi à considérer. Cela peut avoir une influence sur les stratégies de lecture qui pourront être assez différentes selon le cas. Bélec conclut son article en rappelant qu’«au bout du compte, toutes les stratégies à mettre en place avant la lecture visent à sensibiliser les étudiants au fait qu’il s’agit d’un processus actif, que ce soit en mobilisant leurs connaissances antérieures, en les sensibilisant à leurs propres biais de lecteur, en relevant avec eux les caractéristiques de certains genres textuels, ou encore, en modélisant une lecture dans un cadre disciplinaire».     Pour accéder directement à l’article de Correspondance