Les grands changements sociétaux coïncideraient avec une augmentation du perfectionnisme chez les jeunes adultes. L’étude de Curran et Hill (2017) examine si les grands changements sociaux et culturels survenus depuis les années 1980 – l’individualisme croissant, le néolibéralisme et la culture de concurrence – ont un lien avec les tendances actuelle dans la personnalité des jeunes. Plus précisément, les auteurs explorent si le niveau de « perfectionnisme » – un trait de personnalité associé à la réussite – a augmenté au cours des trois dernières décennies chez les étudiants américains, canadiens et britanniques de niveau collégial.

Un fardeau plus lourd

Selon les auteurs, les jeunes sont aujourd’hui confrontés à des conditions sociales et économiques plus difficiles que leurs parents, dans la mesure où la gouvernance interventionniste visant le plein emploi et l’équité sociale a été remplacée par une gouvernance fondée sur la concurrence et le libre marché (Piketty, 2013). En plus de modifier les institutions, ces changements ont imposé un fardeau plus lourd aux générations récentes de jeunes gens qui évoluent sous l’égide de la méritocratie – et sous l’œil vigilant de parents de plus en plus exigeants.

Types de perfectionnisme

Dans le cadre de l’étude, des mesures multidimensionnelles du perfectionnisme provenant de 164 échantillons et de 41 641 étudiants américains, canadiens et britanniques ont été analysés pour déterminer les différences entre les cohortes de naissance entre 1989 et 2016. Les types de perfectionnisme qui émergent de l’analyse sont les suivants :
  • Le perfectionnisme auto-orienté, soit un désir intérieur personnel vers la perfection ;
  • Le perfectionnisme socialement prescrit, soit la compétitivité, l’individualisme, la méritocratie propres à la gouvernance actuelle ;
  • Le perfectionnisme orienté par les autres, soit des normes exigeantes, imposées notamment par les figures parentales.

Différence générationnelle

Le perfectionnisme auto-orienté étant plus héréditaire que les autres, l’étude révèle que ce type est moins touché par des changements culturels plus vastes. Les auteurs ont également constaté que le perfectionnisme orienté par les autres a augmenté au fil du temps. Selon Twenge (2014), la survalorisation de l’estime de soi est l’une des préoccupations prédominantes dans les pratiques éducatives et parentales, exacerbant parfois les tendances narcissiques. Or, le résultat le plus important de cette recherche selon les auteurs eux-mêmes est que les générations récentes de jeunes adultes rapportent des niveaux de perfectionnisme socialement prescrits plus élevés que les générations précédentes. Ce constat s’applique autant chez les jeunes femmes que les jeunes hommes, indépendamment des pays étudiés. Cette constatation suggère que les jeunes perçoivent que leur contexte social est de plus en plus exigeant, que d’autres les jugent plus sévèrement et qu’ils sont de plus en plus enclins à vouloir obtenir l’approbation sociale. Dans ce processus de reconnaissance, les réseaux sociaux agissent en tant que vitrine du Soi idéalisé. Les auteurs insistent sur ce résultat en raison de la taille de l’augmentation comparative, deux fois plus grande que celle des deux autres types, et de l’association de plus en plus documentée entre le perfectionnisme socialement prescrit et les troubles psychopathologiques.

Perfectionnisme et santé mentale

Le type de perfectionnisme socialement prescrit concorde avec les observations de l’anxiété et de la névrose chez les jeunes, en plus d’un sentiment croissant de déconnexion sociale. Ces tendances inquiétantes suggèrent que les jeunes sont de plus en plus sensibles aux pressions externes perçues et qu’il est plus difficile que les générations précédentes d’y faire face. De fait, selon les estimations les plus récentes de l’Organisation mondiale de la santé (2017), les maladies mentales graves touchent un nombre record de jeunes. Aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, les jeunes sont aux prises avec des niveaux plus élevés de dépression, d’anxiété et de suicide qu’il y a dix ans. Les auteurs proposent donc en conclusion de leur étude un lien entre la montée du perfectionnisme et celle de la psychopathologie, en raison de la vulnérabilité des perfectionnistes. En effet, s’ils ont un besoin excessif d’approbation des autres, ils se sentent socialement déconnectés et cette aliénation les rend vulnérables à de profonds bouleversements psychologiques. Pour appuyer leur conclusion, les auteurs réfèrent à une méta-analyse de Limburg et coll.. (2017), où le perfectionnisme socialement prescrit s’est révélé être positivement lié à un éventail de troubles psychologiques et de symptômes : phobie sociale, insatisfaction corporelle, boulimie nerveuse et suicide.  Il est donc probable que, bien que les augmentations du perfectionnisme auto-orienté et orienté par les autres soient importantes, l’augmentation du perfectionnisme socialement prescrit explique le nombre croissant de difficultés en santé mentale chez les jeunes adultes.