Dans un récent article publié par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), la chercheure Anaëlle Milon (Université de Lorraine) examine les parcours et les transitions des étudiant·e·s en situation de handicap (ESH) dans l’enseignement supérieur en France.

L’article, intitulé La « sélection invisible » des étudiants handicapés dans l’enseignement supérieur : projets, transition et parcours et publié dans le bulletin Échanges (n16) du Céreq, est une synthèse d’une communication présentée lors des 26e journées du longitudinal, en novembre 2020. La chercheure y présente notamment les résultats de sa thèse portant sur les parcours des ESH à l’université.

Depuis 2005, les recherches sur les ESH en France se sont multipliées, comme ailleurs dans le monde. Leur arrivée découle de la massification de l’enseignement supérieur, mais aussi du fait que le handicap n’est plus envisagé comme une déficience à la norme, mais plutôt comme le produit de l’interaction entre un environnement et des caractéristiques des étudiant·es.

L’article vise donc à explorer comment les situations (d’apprentissage, de handicap) se construisent dans l’interaction entre un·e étudiant·e et son environnement d’études. Malgré des mesures de soutien, d’aide ou d’égalité des chances, les ESH font face à des mécanismes de sélection invisibles dans l’accès à l’université.

Dans le cadre de son doctorat, Milon a réalisé une enquête qualitative, de 2015 à 2019, auprès de 21 ESH à l’université. La chercheure s’est posé les questions suivantes : quels sont les impacts de l’environnement d’études sur les aspirations et les parcours étudiants ? En quoi les situations de handicap participent-elles à des mécanismes de sélection, plus ou moins invisibles ? En quoi la perception et l’expérience d’obstacles dans l’accès aux études et aux savoirs influencent-elles les parcours des étudiant·es ? (p.256)

Les limites de ce qui est possible

L’enquête révèle que les situations de handicap influencent les parcours des ESH interrogé·e·s.

La faible intégration académique et sociale maintient certain·e·s ESH dans un statut « d’étrangers·ères » dans leur formation, rendant plus difficile la persévérance dans leurs études.

La quasi-totalité des participant·e·s à l’étude font état du handicap comme limite à ce qui est « possible », du « réalisable », de « l’accessible » à différents moments de leur parcours, notamment en ce qui concerne les « possibles » universitaires et professionnels. Ce que la chercheure appelle « la sélection invisible » correspond donc au fait de réduire les choix et les possibles de la personne, et ce, dès le début de son parcours scolaire.

Il ne s’agit pas d’obstacles explicites, mais plutôt de processus implicites dans lesquels l’environnement universitaire déconstruit les projets initiaux de l’étudiant·e. Ces barrières invisibles (matérielles, sociales, pédagogiques) renforcent des situations de handicap principalement lors de deux moments clés dans le parcours étudiant :

  • la transition entre le secondaire et l’enseignement supérieur;
  • le moment où les questions liées à l’insertion professionnelle s’expriment, souvent pendant le parcours universitaire.

Ces mécanismes de sélection invisible sont intériorisés et réduisent réellement le champ des « possibles » universitaires et professionnels des ESH. Ils sont invisibles, car ils se réalisent par les interactions avec l’environnement : dans l’orientation dans l’enseignement supérieur, dans le choix de son lieu d’études, dans son accès aux savoirs, dans la participation aux activités intra et extra-universitaires, ou encore dans le fait de se projeter dans un domaine professionnel.

Comme le souligne la chercheure, la sélection invisible « montre qu’il ne suffit pas de vouloir apprendre à l’université pour pouvoir y apprendre. » (p.264). De manière concrète, près de la moitié des ESH de l’enquête de Milon a dû renoncer à ses projets face à des obstacles physiques, sociaux et pédagogiques lors de la transition vers l’enseignement supérieur ou en contexte universitaire.

Les résistances qui changent les représentations

La démarche compréhensive de Milon permet de montrer la dimension inter-subjective de l’accessibilité des ESH à l’université, c’est-à-dire que les possibilités et les impossibilités sont vécues dans le jeu complexe des interactions des acteurs et des situations. Cela s’effectue à partir des ESH, mais aussi d’autres parties impliquées dans les situations, comme les paroles d’enseignant·e·s ou le soutien des parents, par exemple.

Autrement dit, la « sélection invisible » des ESH à l’université naît dans la confrontation des représentations, des perceptions de tous les acteurs impliqués (inter-subjective). Cela est particulièrement vrai lorsqu’un·e ESH ne se résigne pas au destin que l’environnement universitaire lui prescrit : il·elle « se démène pour prouver avec succès, à soi-même mais surtout aux autres, que l’impossible est possible. » (p.265).

Par exemple, dans l’enquête de Milon, Stéphane obtient un diplôme de maitrise d’histoire alors qu’il a toujours détesté l’école, ou Kim valide ses examens en refusant un aménagement pédagogique qu’elle juge inutile et absurde. Leurs résistances à intégrer ces mécanismes de sélection invisible peuvent, selon la chercheure, transformer à long terme l’institution universitaire, notamment en changeant les perceptions et les représentations des acteurs, en montrant que « la différence et la déficience peuvent être associées à l’altérité et la diversité plutôt qu’à l’incapacité » (p.265).

Référence : Milon, A. (2021). La « sélection invisible » des étudiants handicapés dans l’enseignement supérieur : projets, transition et parcours. Céreq Échanges, n° 16, février, 255-267.