À l’instar d’autres chercheurs s’étant penchés sur la question, Julia Roche, l’auteure de cette thèse, croit que ce passage peut être associé «à un nombre élevé de facteurs à risque de décrochage puisque les étudiants doivent composer simultanément avec un nouvel environnement académique, institutionnel, social et personnel d’autant plus lorsqu’ils quittent leur domicile parental». Dans sa thèse de doctorat en sciences de l’Éducation présentée et soumise en mars 2017 à l’Université Côte d’Azur, Julia Roche s’interroge plus précisément sur les processus expliquant le décrochage et la persévérance institutionnelle dans le contexte de cette période transitoire que vivent les étudiants français. L’auteur avance que, s’il est reconnu que la persévérance institutionnelle et la réussite académique sont le résultat de processus complexes et multidimensionnels, il demeure que peu de recherches «se sont intéressées à la fois à des facteurs relatifs à l’expérience académique et extra-académique des étudiants en les mettant en perspective avec leur intention de persévérer et le fait qu’ils poursuivent effectivement leurs études dans le même cursus».

Trois approches pour appréhender la persévérance

En se basant sur les écrits de Tinto (1992), Roche soutient que trois approches peuvent être employées pour appréhender la persévérance. Il y a d’abord celle basée sur les individus (qui se rapporte aux théories psychologiques ou motivationnelles) puis celle basée sur le contexte de l’individu (qui fait écho aux théories sociologiques, économiques et organisationnelles). Il y a enfin celle basée sur le rapport existant entre l’individu et son contexte (qui fait référence aux théories interactionnelles ou éducationnelles). Pour sa part, malgré le mérite attribuable à chacune de ces approches, l’auteur favorise la troisième d’entre elles soit l’interactionnelle, puisqu’elle a été testée et enrichie, en plus d’être reconnue à l’échelle internationale pour expliquer la persévérance ou le décrochage dans les études supérieures.

Une définition de la persévérance

S’intéressant à la transition lycée – enseignement supérieur, l’auteur adopte une définition de la persévérance qui n’inclut pas l’obtention du diplôme dans un cursus d’études spécifiques. Pour elle, la persévérance «se manifeste par l’acte de l’étudiant de ne pas interrompre ses études indépendamment de son établissement et de son cursus disciplinaire». Roche inclut ainsi à la fois les étudiants qui poursuivent dans le même cursus d’études l’année consécutive et ceux qui se réorientent ailleurs. L’auteur poursuit en précisant quatre types de persévérance :
  1. La persévérance institutionnelle avec réussite académique qui équivaut à la réinscription dans le même cursus d’études en seconde année;
  2. La persévérance institutionnelle avec échec académique qui équivaut au redoublement de la première année d’études;
  3. La réorientation ou départ institutionnel avec réussite académique qui traduit la situation des étudiants qui changent de formation alors qu’ils ont validé leur première année d’études;
  4. La réorientation ou départ institutionnel avec échec académique qui traduit la situation des étudiants qui changent de formation sans avoir validé leur première année d’études.

Les questions de recherche

Une fois définis la problématique et le cadre conceptuel, Roche présente ses questions de recherche qui sont les suivantes :
  • Quels sont les facteurs de pré-admission expliquant les quatre types de persévérance, la persévérance institutionnelle et la réussite académique en première année d’études supérieures?
  • Quels sont les facteurs de l’expérience institutionnelle expliquant les quatre types de persévérance, la persévérance institutionnelle et la réussite académique en première année d’études supérieures?
  • Quels sont les facteurs en dehors de l’expérience institutionnelle (engagements extérieurs) expliquant les quatre types de persévérance, la persévérance institutionnelle et la réussite académique en première année d’études supérieures?

La méthode

La recherche présentée se base sur des entretiens semi-directifs réalisés auprès de 47 familles qui ont été rencontrées à deux reprises soit une première fois en 2011-2012 (année terminale au lycée) et une seconde en 2012-2013 ou 2013-2014 (après la première année d’études supérieures). Le terrain de recherche touche quatre lycées implantés en zone rurale de l’académie Côte d’Or.

Les résultats

L’analyse de la première série d’entretiens menés par Roche lui permet d’affirmer que «les processus d’orientation se déroulant au lycée sont la combinaison de plusieurs variables elles-mêmes exprimant un entrelacement de plusieurs logiques individuelles et sociales». La seconde série d’entretiens lui permet aussi de confirmer que la transition lycée – enseignement supérieur se manifeste bel et bien par «plusieurs processus représentant plusieurs dimensions d’ajustement».

Quatre type d’expérience étudiante

Les données recueillies ont permis à l’auteur de construire quatre types d’expérience étudiante qui intègrent les dimensions abordées lors de la recherche soit l’ajustement aux études et l’intégration de l’étudiant. L’idée derrière cette construction est de «les mettre en perspective avec la persévérance institutionnelle, la réussite académique et les autres types de persévérances». Dans son analyse, Roche prend bien soin d’indiquer que le faible nombre d’étudiants interrogés ne permet toutefois pas de généraliser les résultats.

Des hypothèses qui se confirment, mais pas toutes

Lors de sa conclusion, Roche rappelle que «presque toutes [ses] hypothèses qui stipulaient un lien entre les facteurs de l’expérience étudiante et la réussite académique ont été vérifiées et semblent confirmer le modèle de Tinto (1997) même si ce dernier est censé n’expliquer que la persévérance institutionnelle». Toujours par rapport à ce modèle, elle indique cependant que ses hypothèses qui définissaient une relation significative entre la persévérance institutionnelle et les variables décrivant l’expérience étudiante ont été plus nombreuses à être réfutées. Cela démontrerait donc que le modèle de Tinto «n’est pas celui qui nous permet d’expliquer le mieux la persévérance institutionnelle» pour la cohorte qui a été suivie. Roche prend toutefois soin de mentionner que cette non-concordance avec le modèle pourrait être due à des limites d’ordre méthodologique de sa recherche.

Plus de recherches s’imposent

Au terme de son analyse, la chercheure fait remarquer que, jusqu’ici, les recherches faisant une place importante aux facteurs externes de l’expérience étudiante ont surtout porté sur les étudiants non traditionnels ou en formation à distance. Dans la foulée de ce constat, elle s’interroge sur la nécessité de faire de même pour les étudiants réguliers lors des futures enquêtes portant sur la réussite et la persévérance. Pour elle, il ne fait aucun doute que les pistes de recherche qui restent à explorer sont nombreuses et mériteraient d’être explorées.