Le chercheur en éducation Pierre Canisius Kamanzi (Université de Montréal) montre que les populations étudiantes québécoises d’origine africaine et caraïbéenne font preuve de résilience pendant leur parcours postsecondaire.

Cette analyse longitudinale, dont les résultats sont parus dans un récent article de la Revue canadienne de l’éducation/Canadian Journal of Education (printemps 2021), s’appuie sur une banque de données ministérielles. Celles-ci portent sur les caractéristiques sociodémographiques et scolaires de 8415 étudiant·es sur une période de 10 ans, de la première année du secondaire (2002-2003) aux études postsecondaires (2012-2013).

Cet article vise donc à analyser les parcours scolaires d’étudiant·es québécois·es noir·es d’origine immigrée de l’Afrique subsaharienne et des Caraïbes ayant en commun de faire partie des groupes racisés et d’être à risque de parcours scolaires fragiles (Kamanzi, 2021, p.49).

Qu’est-ce que la résilience des minorités ethnoculturelles ?

En éducation, la résilience réfère à la persévérance et la réussite des études malgré les conditions difficiles associées à des caractéristiques personnelles ou à celles de l’environnement social et scolaire (Anaut, 2006, dans Kamanzi, 2021).

L’étudiant·e résilient·e se distingue par sa capacité à mobiliser et à combiner différents facteurs de protection pour réussir ses études. Ces facteurs sont individuels (motivation, sentiment de compétence, etc.) ou environnementaux (ressources matérielles, soutien psychosocial, etc.).

Les jeunes issu·es des communautés noires seraient conscient·es qu’elles et ils doivent travailler plus que les autres pour faire reconnaître leurs compétences (McGee, 2020). Ayant en tête les multiples contraintes et obstacles, ces étudiant·es s’investiraient davantage à construire des stratégies pour mieux « s’en sortir » (Magnan et al., 2017, dans Kamanzi, 2021).

Principaux résultats

Malgré le fait que ces populations étudiantes risquent d’être la cible de racisme et de discriminations sociales et scolaires, les résultats de cette recherche révèlent qu’une partie d’entre elles arrivent à surmonter ces obstacles.

Une résilience relative

En effet, bien qu’elles et ils soient plus à risque de difficultés scolaires majeures et de retards dus au redoublement, ces étudiant·es accèdent au collège dans une proportion plus ou moins comparable à celle de leurs pairs dont les parents sont de souche eurocanadienne (Kamanzi, 2021, p.49).

Image : Canva

Leur résilience connait des limites : les étudiant·es dont les parents sont de souche eurocanadienne sont 1,5 fois plus susceptibles d’obtenir un diplôme d’études collégiales et d’avoir accès aux études universitaires (ibid.).

Deux pistes sont avancées pour comprendre ces différences :

  1. Plusieurs de ces étudiant·es ont vécu des épisodes de redoublement au primaire et au secondaire, accédant plus tard aux études postsecondaires;
  2. Ces étudiant·es peuvent avoir connu des difficultés scolaires majeures au secondaire, devant suivre des cours de mise à niveau avant d’être admis·es au collégial.

Selon une autre étude de Kamanzi et al. (2018), ces étudiant·es seraient plus susceptibles d’avoir des parcours non linéaires au secondaire, combinant la formation générale et professionnelle avant d’entreprendre les études postsecondaires au niveau collégial. L’accès aux études collégiales serait ainsi plus tardif pour ces populations étudiantes, de même que l’obtention du diplôme et l’accès à l’université (Kamanzi, 2021, p.50).

Des conditions précaires

Les étudiant·es issu·es des communautés noires doivent davantage concilier les études et le travail pour subvenir à leurs besoins et soutenir leur famille. En effet, ces étudiant·es auraient davantage des conditions de vie précaires et habitent des quartiers où le revenu moyen par ménage est inférieur à la médiane régionale (Kamanzi, 2021, p.50).

De plus, même si ces étudiant·es ont accès à l’enseignement supérieur, elles et ils peuvent vivre du racisme et être victimes de stéréotypes et de préjugés au sein des collèges et des universités (Collins et Magnan, 2018, dans Kamanzi, 2021).

En somme, le fait que ces étudiant·es « soient moins susceptibles, à l’âge de 22 ans, d’avoir obtenu un diplôme d’études postsecondaires et d’avoir accédé à l’université ne remet pas en question l’hypothèse de résilience, mais souligne qu’elle est à nuancer ».

ibid., p.50.

Pistes explicatives de la résilience

Comment alors expliquer cette résilience des jeunes Noir·es face à l’adversité ? Kamanzi propose trois pistes explicatives :

  • La première concerne le niveau d’éducation des parents de ces étudiant·es. Comme le montrent les statistiques québécoises, les immigrant·es sont plus scolarisé·es que la moyenne provinciale. Leurs parents considèrent souvent que les études postsecondaires sont le seul moyen d’accéder à un emploi de qualité (p.51);
  • La deuxième explication de la résilience concerne la mobilisation familiale autour du projet scolaire des enfants. Souvent victimes de discrimination sur le marché de l’emploi, les parents s’investissent beaucoup auprès des études de leur enfant (p.51);
  • La troisième piste explicative renvoie à la détermination de ces étudiant·es, qui peuvent affirmer fortement leur identité « ethnoraciale » comme moyen de faire leur chemin aux études postsecondaires (p.52).

Pistes pour les pouvoirs publics

En somme, l’analyse des données longitudinales de Kamanzi (2021) montrent que les parcours primaire et secondaire des populations étudiantes noires n’influent pas seulement sur l’accès aux études supérieures, mais également sur la persévérance aux études et les chances d’obtenir un diplôme (p.52).

Par ailleurs, le chercheur souligne que les contextes sociétaux et les politiques publiques ne sont pas à négliger dans l’analyse des parcours.

Au Québec, les pouvoirs publics font des efforts importants pour favoriser la réussite et la persévérance de tous et de toutes. Cependant,  ces mêmes pouvoirs « ont progressivement balisé, voire soutenu de nouvelles pratiques institutionnelles favorisant l’exclusion sociale subtile en milieu scolaire, notamment par le biais de la stratification des établissements et la hiérarchisation des programmes d’enseignement » (p.53).

Comme ce phénomène toucherait particulièrement les groupes racisés, Kamanzi (2021) propose que les pouvoirs publics améliorent les conditions d’apprentissage et le soutien à la réussite, notamment en termes de ressources éducatives (le temps, la qualité des activités scolaires et parascolaires et les ressources matérielles). Cela permettrait de compenser, en partie, les inégalités scolaires liées à l’origine ethnoculturelle et sociale, mais également d’atténuer les effets des ségrégations produits par le système lui-même (ibid.).

Références

Kamanzi, P. C., Magnan, M.-O., Pilote, A. et Doray, P. (2018). Immigration et morphologie des parcours scolaires dans l’enseignement supérieur au Canada : le cas de la province de Québec. Revue Européenne des Migrations Internationales, 34(2/3), 253–277.

Kamanzi, P. C. (2021). La résilience dans le parcours scolaire des jeunes noirs d’origine africaine et caribéenne au QuébecCanadian Journal of Education/Revue Canadienne De l’éducation44(1), CI32-CI63.