Le Conseil supérieur de l’éducation vient de publier un rapport portant sur la sous-représentation des femmes dans le domaine numérique et sur les conséquences de cette fracture de genre.

Dans un contexte où la formation à distance est de plus en plus présente et où la culture numérique se développe (intelligence artificielle, systèmes d’algorithmes, méga-données, codage, etc.), les formations – dont celles en enseignement supérieur – visent à répondre à la demande de main d’œuvre dans les prochaines années.

Or, les filles et les femmes sont peu présentes dans les formations des sciences et technologies de l’informatique. Dans un rapport intitulé Le numérique: une culture genrée (Conseil supérieur de l’éducation, 2020), Nadine Forget-Dubois fait d’abord état des causes de cette sous-représentativité, soit principalement les stéréotypes de genre en tant qu’obstacles dans le parcours éducatif.

Le stéréotype du geek

Les disciplines du domaine numérique sont perçues comme demandant peu de contacts sociaux, beaucoup d’interactions avec des machines et un talent inné. Le geek est par défaut un garçon brillant, mais peu sociable.

Les stéréotypes féminins veulent au contraire que les filles soient modestes, qu’elles soient orientées vers les interactions sociales et que leurs réussites viennent de leurs efforts, contrairement aux garçons, qui réussiraient par intelligence.

Les filles et les femmes ne s’identifient pas au domaine du numérique notamment parce que ces stéréotypes tenaces ne leur correspondent pas; la difficulté à développer un sentiment d’appartenance les dissuade de poursuivre leurs études dans les domaines du numérique.

Par ailleurs, celles qui s’y engagent malgré tout se réorientent plus souvent que les hommes en donnant comme motifs la conciliation travail‑famille difficile, la discrimination et le harcèlement.

« Je rougirais si je pouvais »

Dans ce rapport, l’auteure fait également état des conséquences du manque de diversité dans les formations et les professions du numérique.

Le groupe qui contrôle la programmation – masculin – reproduit des stéréotypes de genre dans le contenu numérique lui-même, en attribuant par exemple des caractéristiques comme l’humilité ou la serviabilité aux assistantes virtuelles (Siri, Alexa). Comme le note l’UNESCO, citée dans le rapport :

« [l]a prédominance persistante des hommes dans ce secteur ne fait que perpétuer les disparités et exacerber les inégalités entre les genres, car les biais inconscients sont reproduits et intégrés aux algorithmes et aux systèmes d’intelligence artificielle » (UNESCO (2020). Je rougirais si je pouvais : réduire la fracture numérique entre les genres par l’éducation, p.20).

Un changement de culture

De nombreuses initiatives ont été mises de l’avant par les gouvernements et les établissements d’enseignement supérieur pour attirer les filles vers les formations du numérique. Le mouvement montréalais Les filles et le code vise, par exemple, à outiller les filles en leur permettant de développer des habiletés et à leur donner le goût d’aller vers ces domaines.

Des interventions bien ciblées, la présence de mentores et l’exposition à l’informatique en milieu scolaire peuvent amener plus de femmes à opter pour une carrière dans le numérique.

Cependant, bien qu’elles soient nécessaires, ces initiatives qui visent à attirer les filles vers ces domaines ne suffiront pas à refermer la fracture numérique de genre. Elles ne remplacent pas un changement de culture visant à rendre ce domaine d’avenir plus accueillant pour les filles et les femmes.

La récente étude de Yacoubi (2020) montre qu’à moins d’avoir grandi avec des modèles, notamment leurs parents, la plupart des jeunes femmes ne développent pas d’appartenance au monde numérique autrement que comme consommatrices – et non programmeuses. À ce titre, la plupart des jeunes interrogés dans l’étude de Yacoubi déplore le manque de formation en compétences numériques dans l’environnement scolaire.

En plus des initiatives ciblées, il sera donc nécessaire de changer la culture du numérique dans le système d’éducation et la société québécoise pour que les filles s’y reconnaissent et s’y sentent accueillies.

Source : Forget-Dubois, Nadine (2020). Le numérique: une culture genrée, Études et recherches, Québec, Le Conseil, 18 p.