Une étude s'intéresse au parcours migratoire de jeunes adultes d’origine étrangère suivant une formation collégiale technique dans une région éloignée de la métropole québécoise. Dans le cadre de son mémoire de maîtrise en ethnologie et francophonie en Amérique du Nord, réalisé à l’Université Laval, Véronique Gagnon a interviewé des étudiants d’origine étrangère qui fréquentent l’Institut maritime du Québec à Rimouski, en vue de poser un regard sur leur parcours migratoire et l’expérience transculturelle vécue en région.

Migrer pour ses études : les obstacles

Le contexte globalisé actuel constitue la trame de fond de ce document, qui vise à appréhender autant les logiques et processus sous-jacents à la mobilité pour les études que le vécu des personnes impliquées. Autrement dit, ce mémoire souligne qu’au-delà des forces et contraintes extérieures, le parcours de chaque individu est essentiellement unique et singulier. Les dispositifs de mobilité ne correspondent pas toujours aux aléas des projets familiaux dans lesquels sont impliqués plusieurs étudiants étrangers. Ceux-ci rencontrent, comme tout nouvel étudiant en transition inter-ordre, différentes difficultés dans leur parcours d’insertion, souvent liées aux attentes du niveau d’enseignement supérieur. Cependant, en plus de cela, ils font face à une multitude de difficultés propres à leur condition. Leurs principaux défis d’adaptation sont :
  • les enjeux académiques
  • les difficultés linguistiques
  • les problèmes financiers
  • l’isolement social
  • les écueils interpersonnels
  • le mal du pays
  • les soucis liés à la famille élargie
  • la discrimination
  • l’adaptation aux habitudes de vie différentes
  • etc.

Les facteurs facilitant l’expérience

C’est dans les lieux significatifs de vie, comme les institutions d’enseignement et les résidences pour étudiants, que la création de nouveaux réseaux sociaux s’opère pour les étudiants étrangers. Le développement de rapports d’amitié avec des membres de la communauté d’accueil, jumelé à la préservation de l’appartenance à la culture d’origine, semble constituer un important vecteur d’intégration. Ces réseaux de pairs développés dans le milieu d’accueil constituent un facteur positif dans la réussite des transitions de vie. Or,  les réseaux ne se forment pas toujours spontanément et il n’est pas aisé pour des étudiants étrangers de franchir les frontières des réseaux locaux.  Il est donc essentiel que l’action des milieux d’accueil supporte ces réseaux et s’y insère.

Principaux constats de l’étude

Cette enquête ethnographique de terrain sur l’expérience de transition interculturelle en région permet d’établir certains constats :
  • Il existe un lien entre le bagage antérieur des individus et leur propension à migrer : plus le vécu migratoire ou la culture de la mobilité est riche, plus l’adaptation au nouveau milieu (ou du moins la perception que l’on en a) semble facile;
  • La création de liens semble beaucoup plus aisée avec les gens qui vivent la migration pour études, qu’ils soient d’origine étrangère ou non. Ces relations entre étudiants migrants nationaux ou internationaux, source d’un maillage de solidarité, ont été hautement significatives et aidantes pour plusieurs. On voit ainsi apparaître des communautés d’expérience plus que des regroupements basés sur l’ethnicité;
  • La réussite du projet d’études dépendrait davantage des conditions dans lesquelles le départ s’est fait et de la manière d’aborder ce projet que de l’âge des migrants comme tel. Par exemple, deux participants de l’étude ayant clairement abordé leur projet d’études et de migration de manière spontanée et « opportuniste » ont abandonné leur formation après un an ou deux;
  • Les personnes-ressources de l’institution d’enseignement et les services y étant offerts soutiennent de manière considérable l’insertion académique et sociale des étudiants d’origine étrangère.

Décalage entre mesures et réalité

L’auteure s’appuie sur sa propre expérience de travail auprès d’étudiants d’origine étrangère pour avancer que les personnes les plus susceptibles de demeurer dans la région au terme de leurs études sont celles pour qui le projet d’études s’articule dès le départ autour d’un projet d’immigration et, qui plus est, s’il est familial. Elle souligne un  décalage dans la logique migratoire pensée pour les étudiants étrangers et les mesures et politiques qui en découlent. L’originalité de ce mémoire réside principalement dans ce constat : il existe un paradoxe dans lequel se trouvent les étudiants étrangers financés qui sont dans la mire du projet québécois de régionalisation de l’immigration. D’une part, on prévoit qu’ils ne changent pas d’idée concernant leur formation et qu’ils réussissent sur le plan académique, de sorte que leur cheminement ne soit pas allongé. D’autre part, on prévoit qu’ils s’installent en région et qu’ils y intègrent le marché du travail dans leur domaine d’études collégiales, comblant ainsi les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs et régions ciblés par les instances gouvernementales du Québec.

Flexibilité du projet d’études

Il existe donc un projet et une volonté du côté du pays d’origine : celle de soutenir les jeunes dans un projet d’études au Québec afin qu’ils immigrent de façon permanente. Il existe aussi un projet du côté du pays d’accueil : accueillir des jeunes dans des programmes d’études liés à des emplois en forte demande et dans des régions touchées par le déclin démographique. Or, le projet migratoire étant en continuelle redéfinition, les étudiants étrangers ont besoin de flexibilité et de temps dans le dénouement de cet important projet d’études. Ce décalage, cette incompatibilité entre les stratégies politiques, les aspirations de régionalisation de l’immigration et celles des étudiants d’origine étrangère en situation de transition est notable dans cette étude :  tous les Réunionnais et Guadeloupéens passés par l’Institut maritime du Québec depuis 2004 ont quitté Rimouski ; un seul est encore dans la région.